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des thèses tranchées, qui lui donnent occasion de placer sa rhétorique et de satisfaire son goût pour les déclamations générales. Les sages voient et veulent quelque chose de mieux; mais les sages ne sont pas de leur pays. La philosophie du XVIIIe siècle, qui est bien quelque chose d’éminemment français, est en un sens profondément catholique par sa tendance universelle, son manque de critique, son peu de souci des nuances et sa prétention de substituer à l’infaillibilité théologique une autre infaillibilité.

On ne peut donc espérer, ce nous semble, que les idées de Channing soient destinées à réunir parmi nous une bien nombreuse famille d’adhérens. Lui-même le comprit. Ses lettres à MM. de Sismondi et de Gérando trahissent une perpétuelle préoccupation de la France, et, au milieu des sentimens d’une vive sympathie, laissent percer peu d’espoir. « Je désire, écrivait-il à ce dernier, vous poser une question à laquelle vous répondrez, je l’espère, avec une entière franchise. Les vues religieuses développées dans mon volume sont-elles en quelque chose applicables aux besoins et à l’état de la France ? Je ne suis pas fâché de lire dans votre lettre que les sectes anglaises ne réussissent point à s’étendre parmi vous. Elles ne peuvent donner qu’une pauvre forme de religion. Depuis quelque temps, l’Angleterre a fait peu de progrès dans les hautes vérités. Ses missionnaires, si on leur prêtait l’oreille, feraient reculer la France de trois siècles. Je crois que la religion, quand elle reparaîtra parmi vous, se montrera sous une forme plus divine. Je crois que la France, après tant d’efforts vers le progrès, ne reprendra point la théologie vermoulue des âges d’antiquité. » — « Je n’espère ni ne désire, écrit-il à M. de Sismondi, que le christianisme revive en France sous ses anciennes formes. Quelque chose de mieux est nécessaire... Un des plus grands moyens pour restaurer le christianisme, c’est de rompre l’habitude presque universelle en France de l’identifier avec le catholicisme ou le vieux protestantisme. Un autre moyen, c’est de montrer combien il est en harmonie avec l’esprit de liberté, de philanthropie, de progrès, et de faire voir que ces principes exigent, pour leur entier développement, l’aide du christianisme. L’identité de cette religion avec la bienveillance la plus étendue a particulièrement besoin d’être comprise. A moins que le christianisme ne remplisse toutes ces conditions, je n’en puis désirer le succès. » — « D’où nous viendra le salut ? dit-il encore. C’est la question qui s’élève sans cesse dans mon esprit. Le monde recevra-t-il l’impulsion de réformateurs individuels ou de nouvelles institutions ? L’œuvre s’accomplira-t-elle par une action silencieuse s’exerçant au sein des masses ? ou bien de grandes convulsions, renversant l’état de choses actuel, seront-elles nécessaires, comme à la chute de l’empire romain, pour