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sans une religion positive et compliquée, chargée de dogmes et de pratiques. Ici nous avons un Vincent de Paul moins la dévotion, un Cheverus moins le sacerdoce. Il faut lire la biographie que Channing lui-même nous a donnée du révérend Tuckermann, son maître et son guide dans cette voie de charité, pour se représenter la forme nouvelle de la sainteté laïque, telle que les États-Unis paraissent destinés à la révéler au monde. La nature éminemment anglaise de Channing, ses délicatesses de gentleman, son optimisme aussi, qui faisait de la vue du mal un véritable supplice pour lui, rendaient d’autant plus méritoire son ministère de charité. «Mon esprit cherche le bon, le parfait et le beau, écrivait-il. Je ne puis sans une sorte de torture présenter vivement à mon imagination ce que l’homme souffre de ses propres crimes et des torts ou des cruautés de ses frères. Toute la perfection de l’art répandue sur des sujets horribles ou purement tragiques ne peut me réconcilier avec ces sujets. C’est seulement par un sentiment de devoir que je lis dans les journaux le récit des crimes et des malheurs... Vous voyez qu’il y a en moi peu d’étoffe pour un réformateur. »

Je ne connais vraiment de nos jours rien qui rappelle ces belles et grandes prédications morales et cette manière élevée de prendre les questions sociales. Les problèmes, qui chez nous ont troublé l’esprit humain, et dont la solution n’est pas encore entrevue, sont tous résolus chez Channing par la charité, l’estime de l’homme, la croyance que la nature humaine est bonne et qu’en se développant elle va au bien. Jamais on n’a cru plus fermement au progrès, aux influences bienfaisantes des lumières et de la civilisation sur toutes les classes. Channing est un démocrate, en ce sens qu’il n’admet d’autre noblesse que celle de la vertu et du travail, qu’il ne voit de salut pour l’humanité que dans la culture intellectuelle des masses populaires et dans leur introduction au sein de la grande famille civilisée. « Je suis un niveleur, écrivait-il en 1831, mais je voudrais accomplir ma mission en élevant ceux qui sont au dernier rang, en tirant les travailleurs de l’indigence qui les dégrade et de l’ignorance qui les abrutit. Si je comprends ce que signifient christianisme et philanthropie, il n’y a pas de précepte plus clair que celui-là. »

En politique, Channing est peu raffiné. Il est libéral, et, chose assez rare, libéral par motif religieux. La révolution de 1830 lui causa une vive joie. Il en apprit la nouvelle à Newport, et repartit immédiatement pour Boston, afin d’échanger ses félicitations avec des amis de la liberté constitutionnelle et de communiquer du haut de la chaire les espérances dont son cœur était rempli. Il fut fort étonné de ne trouver que peu de réponse à son enthousiasme, et maudit plus énergiquement que jamais l’engourdissement de l’opinion