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de l’Allemagne du nord; comme grande institution, elle ne vaut pas le catholicisme ; elle demande trop de sacrifices au critique, et elle n’en demande pas assez à ceux qui éprouvent le besoin de croire. Que la tendance des temps modernes semble appeler une religion de cette sorte, formée du résidu commun de toutes les religions après l’élimination des particularités dogmatiques propres à chacune d’elles, des faits nombreux ont pu porter à le croire. L’Asie entière, depuis deux ou trois siècles, semble arriver par la simplification de ses vieux cultes au déisme. L’Inde, fatiguée d’errer dans le dédale de sectes infinies, y aboutit de toutes parts. Rammohun-Roy, le plus illustre représentant de la race brahmanique dans notre siècle, mourut unitaire à la manière de Channing. Voltaire, traduit en guzarati, sert de nos jours à la controverse des derniers disciples de Zoroastre, devenus déistes purs, contre les missionnaires protestans. Sous la révolution de la Chine se cache évidemment un appel au monothéisme contre la dégradation dont les vieilles religions du Céleste Empire semblent frappées. Est-ce là un signe qui doit nous montrer dans le déisme le terme final des évolutions de l’humanité ? Cela pourrait être, si l’esprit humain à côté de la raison ne renfermait des instincts beaucoup plus capricieux. Ce grain de fantaisie, qu’on ne saurait détruire, dérangera toujours les combinaisons en apparence les plus sensées. Le besoin de croire à quelque chose d’extraordinaire est inné dans l’homme; une religion trop simple ne le contentera jamais. Au lendemain des plus sévères exclusions, les bizarreries, les croyances particulières, les pratiques mesquines reprendront leurs droits. La religion n’est pas seulement philosophie, elle est art; il ne faut donc pas lui demander d’être trop raisonnable. Que signifiaient Adonis et Sabazius, dont s’éprenait l’antiquité ? Rien en soi, mais tout par le sentiment qu’on y mettait. La foi veut l’impossible; elle n’est satisfaite qu’à ce prix. Aujourd’hui encore, tous les ans, les Hindous marchent sur des charbons ardens pour attester la virginité de Draupadi, l’épouse commune des cinq fils de Kourou.


III.

La véritable mission de Channing était évidemment toute morale. Sa théologie est de tous points très attaquable; quant à sa morale, on peut la louer sans réserve : c’est par là qu’il est pour nous original et neuf. Rien, en effet, dans notre organisation européenne, ne peut nous donner une idée d’un tel apostolat. A nos yeux, l’ardeur de prosélytisme qui fait l’apôtre ou le missionnaire ne va pas