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même que pour obéir aux lois de l’état il n’est pas nécessaire de croire qu’elles sont les meilleures du monde. De là vient qu’au fond les pays protestans, où la religion est prise tout à fait au sérieux, sont plus intolérans, au moins pour le libre examen, que les pays catholiques; de là vient enfin ce singulier phénomène que les pays catholiques seuls ont connu la liberté de penser. Y a-t-il un pays qui ait été moins gêné par sa religion que l’Italie du moyen âge et de la renaissance ? La philosophie du XVIIIe siècle ne pouvait naître que dans un pays catholique; ces deux choses sont de même ordre et se tiennent par une foule d’analogies secrètes qu’il serait trop long d’énumérer ici.

La critique impartiale ne peut donc partager sur ce point tous les scrupules de l’école américaine. Elle sait que tout ici-bas confine au bien et au mal; elle voit d’un côté l’indifférence religieuse comme conséquence du système officiel, de l’autre les aberrations individuelles comme suites de la manie théologique. Sans doute, s’il y avait une vérité absolue qui fût la récompense des efforts faits pour l’atteindre, il faudrait prêcher à tous la recherche et l’examen; mais de bonne foi peut-on espérer qu’on sera plus heureux que tant d’autres et que seul on jouit d’un privilège pour retrouver le véritable symbole de la religion du Christ ? Jusqu’à quel point même est-il avantageux qu’un pays se passionne ainsi pour la recherche théologique ? Voyons-nous, après tout, que l’Angleterre et les États-Unis, où chacun se fait de la théologie une affaire personnelle, possèdent une culture intellectuelle supérieure à celle de la France, où personne ne fait de théologie ? La lecture habituelle de la Bible en particulier, conséquence nécessaire du système protestant, est-elle donc un si grand bien, et l’église catholique est-elle si coupable d’avoir mis un sceau à ce livre et de l’avoir dissimulé ? Non certes, et je suis tenté de dire que le plus magnifique coup d’état de cette grande institution est de s’être substituée, elle vivante, agissante, à une autorité muette. C’est une admirable littérature sans doute que la littérature hébraïque, mais pour le savant et le critique qui peuvent l’étudier dans l’original et restituer leur vrai sens à chacun des curieux morceaux qui la composent. Quant à ceux qui l’admirent de confiance, le plus souvent ils y admirent ce qui n’y est pas; le caractère vraiment original des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament leur échappe. Que dire des personnes peu lettrées qui s’enfoncent dans cette obscure antiquité ? Qu’on s’imagine le renversement d’esprit que doit causer à des gens simples, sans critique et sans instruction, la lecture habituelle d’un livre comme l’Apocalypse ? On sait les étranges aberrations qui, à l’époque de la révolution d’Angleterre, sortirent de cette méditation malsaine. En Amérique, la source de ces folies n’est pas