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Channing ne vit jamais bien clairement que la conséquence du fait de l’admission d’une révélation est l’admission d’une autorité, en d’autres termes le catholicisme. Il ne comprit jamais l’institution politique de la religion comme l’entendent les nations issues de Rome. Préoccupé de cette inquiète recherche, qui est la conséquence du protestantisme, il méconnut la poésie et la grandeur de la religion moins tourmentée des peuples du midi (et la France devient de plus en plus un pays du midi). Parce que ces peuples, au lieu de comprendre la religion comme une poursuite sans fin, l’entendent comme un repos; parce que, fuyant la peine, ils savourent à loisir une religion qu’on leur donne toute préparée, est-ce une raison pour les dédaigner et les exclure du royaume de Dieu ? Qui sait si au fond ils ne sont pas plus sages que ceux qui cherchent la vérité théologique ? S’ils n’agitent pas le problème, n’est-ce pas parce qu’ils sentent vaguement et par instinct qu’il est insoluble ? Le catholique prenant le dogme tel que le temps l’a fait est, en un sens, bien plus près de la grande philosophie que le protestant, qui cherche à revenir sans cesse à une prétendue formule primitive du christianisme. Il y a dans la manière catholique de laisser faire le dogme par le courant de l’opinion dominante, par une sorte d’entente tacite des fidèles, quelque chose de plus profond que dans l’appel à une révélation immuable, faite à un moment de l’histoire et où l’on s’oblige à trouver une foi pour tous les temps.

Il est tout simple que l’âme hautement pénétrée de la sainteté des choses religieuses se récrie contre cette religion extérieure, reste du paganisme romain, qui ne commandait pas la foi, mais le respect. Je me souviendrai toujours de la profonde horreur que me témoigna un missionnaire américain qui venait d’assister à une cérémonie officielle à la Madeleine. Cet appareil tout profane, ces uniformes dans le lieu saint, ces places marquées comme dans un théâtre, toute cette préoccupation qui certes n’était pas de Dieu, cette foule où personne ne songeait à prier, tout cela lui fit l’impression d’un affreux paganisme. Mais on ne peut nier que le paganisme n’ait de très profondes racines dans la nature humaine et n’exige, dans une certaine mesure, qu’on lui fasse sa part. Si une religion abstraite, purement monothéiste, était la meilleure, aucune religion ne pourrait être comparée à l’islamisme. Par ses mystères variés, et surtout par le culte des saints et de la Vierge, le catholicisme répond à ce besoin de démonstrations extérieures et d’arts plastiques qui est si fort dans le midi de l’Europe. D’ailleurs la conséquence naturelle d’une religion officielle, c’est de commander moins impérieusement la croyance, précisément parce qu’elle ne se pose que comme une institution à laquelle on peut se conformer sans y accorder une foi absolue, de