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il est assez malaisé de choisir entre eux. Pour faire ce choix avec liberté d’esprit, il faut étudier le personnage de Robin Hood en lui-même, comme il s’offre à nous, dans l’histoire et dans la poésie, dans les chroniqueurs et dans les ménestrels. Nous ne prétendons pas construire une théorie nouvelle; nous pourrons nous ranger à celui des systèmes connus qui nous paraîtra le plus vraisemblable, et s’il est nécessaire de le modifier un peu, nous n’hésiterons pas à le faire, avec la connaissance que nous aurons acquise des témoignages et des monumens.


I.

L’histoire a ses injustices et ses vengeances. Ceux qui l’écrivent sont hommes, ils ont des passions. Non-seulement ils peuvent recueillir tout le mal qui s’est dit de ceux qui furent leurs ennemis, ils peuvent encore leur faire plus de tort en se taisant. Jusqu’au XVIe siècle, on ne trouve pas un chroniqueur anglais qui ait parlé de Robin Hood. Un personnage dont les poètes ont raconté tant de prouesses, dont il décrivent quelquefois la vie avec tant de détail, le suivant en quelque sorte à la trace dans des lieux qu’ils nomment avec une exactitude qu’on peut aujourd’hui vérifier, un héros populaire qui ne ressemble en rien à ceux des poèmes chevaleresques, pas même par les hyperboles et les invraisemblances, un tel homme serait-il simplement une invention ? Robin Hood est l’ennemi déclaré des évêques, des moines et des frères; il les dévalise, il les rançonne. Ne serait-il pas possible que son souvenir eût été banni de tous leurs livres, qu’ils eussent effacé son nom de l’histoire, dont les moines étaient les seuls interprètes ? N’y aurait-il pas eu contre lui une sorte de conspiration du silence ? Si cette supposition avait quelque fondement, les moines et les évêques que Robin Hood a si mal traités seraient aujourd’hui bien vengés. L’absence de toute mention de Robin Hood dans les chroniqueurs anglais a fait croire à plus d’un qu’il n’y avait jamais eu de Robin Hood.

Mais les Anglais avaient des ennemis fort bien instruits de leurs affaires; c’étaient leurs voisins les Écossais. Les moines d’Ecosse n’avaient pas les mêmes raisons que ceux d’Angleterre pour garder le silence sur le célèbre outlaw. Robin Hood n’était pas un mauvais chrétien; il passait pour entendre trois messes de suite, toutes les fois qu’il était possible. Il était fort dévot à Notre-Dame; il gardait sa haine pour les riches abbés d’Angleterre, que les bons moines d’Ecosse n’aimaient peut-être pas beaucoup plus, parce qu’ils les avaient vus sans doute venir à la suite de l’armée conquérante d’Edouard Ier. D’ailleurs la vie du brave Robin Hood ne différait pas beaucoup de celle de leur héros Wallace. Quand l’Ecosse gémissait sous le plus dur esclavage, quand elle avait perdu ses rois, que les seigneurs n’avaient plus de châteaux, que le pauvre n’était plus assuré de sa chaumière, un chef s’était offert, qui s’était mis à la tête des Écossais désespérés. Ce n’était pas un comte ni un duc; c’était un simple gentilhomme qui fut protecteur de l’Ecosse, et ne voulut jamais être appelé que sir William Wallace. Un jour, assiégé dans sa maison de la ville de Lanark, il s’échappe. Durant son absence, les Anglais brûlent sa maison, tuent sa femme et ses domestiques. Wallace jura qu’il se