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voit-on qu’elles respirent la révolte et la haine politique ? Robin Hood n’est pas fort délicat sur le point du bien d’autrui, il n’est pas respectueux envers les abbés, il en veut à un certain évêque; mais il est fort dévoué au roi, et vous le fâcheriez très fort en rappelant rebelle. Il est proscrit, il est bandit, il est peut-être voleur de grand chemin; mais il n’est pas insurgé. C’est un sujet incommode, mais loyal dans le sens le plus anglais du mot. Il dépouille les sujets du roi en criant : Vive le roi ! Non, Robin Hood n’est pas un Saxon révolté. S’il a une valeur politique, c’est un de ces hommes si nombreux qui levèrent un drapeau dans les forêts, dans les marécages, dans les châteaux les plus écartés, entre le XIIIe et le XIVe siècle. Si vous ne voulez pas lui donner cette importance, c’est tout simplement un bandit, un braconnier, tout ce que vous voudrez; mais il faut renoncer à en faire un rebelle.

Voilà deux manières très opposées d’envisager Robin Hood. On pourrait appeler la première — le système français. On sait que M. Augustin Thierry est le premier qui ait expliqué ainsi le héros des archers. La tournure poétique de son hypothèse, la vraisemblance dont il a su l’entourer, la grande autorité de son nom, tout s’est réuni pour faire la fortune de cette explication. On peut dire qu’en France elle est généralement adoptée[1]. Je ne trouve aucun critique anglais qui l’ait acceptée purement et simplement; deux seulement, M. Gutch et un écrivain de la Revue de Westminster, ont traduit ou extrait le chapitre de M. Augustin Thierry sur Robin Hood, et, s’ils ne se rangent pas à son avis, du moins ils s’en écartent beaucoup moins que les autres. Le second système, ou système anglais, est, à vrai dire, négatif, puisqu’il consiste à combattre l’opinion de l’auteur de l’Histoire de la Conquête. Il contient d’ailleurs toute espèce d’explications, depuis celle qui élève le franc archer à la dignité de pair d’Angleterre jusqu’à celle qui en fait un esprit follet. Cependant toutes ces hypothèses ont ce point commun : c’est que Robin Hood, chef de parti, bandit, voleur ou esprit follet, est un sujet fidèle, et qu’il compte parmi ses vertus un loyalisme irréprochable. Chacun de nous apporte, on le voit, plus ou moins ses préjugés dans l’histoire. Nous autres Français, livrés. Dieu sait pour combien de temps, à une lutte de classes sociales entre elles, nous voyons partout de ces tiraillemens, et, l’éloignement grossissant quelquefois les objets, nous nous exagérons peut-être un peu la durée de ces combats entre races, de ces guerres entre vainqueurs et vaincus, entre conquérans et esclaves. Les Anglais, abrités depuis longtemps déjà par une constitution que personne ne veut détruire et par une royauté que tout le monde affectionne, s’imaginent difficilement qu’il n’en ait pas toujours été ainsi. Parce que la race saxonne et ses rois font depuis des siècles cause commune, parce qu’ils ont trouvé l’art de faire de l’opposition sans révolte et de tenir tête à l’autorité sans devenir rebelles, ils veulent effacer la révolte et la rébellion de leur histoire.

Entre tant de théories, quelle sera notre préférence ? Rien n’engendre le doute comme plusieurs certitudes, et quand on a parcouru tous ces systèmes,

  1. Je ne citerai pas tous les auteurs français qui ont embrassé sur ce point l’opinion de l’illustre historien, mais je ne puis passer sous silence la thèse ingénieuse de M. Barry sur le cycle de Robin Hood. C’est un développement intéressant du chapitre de M. Thierry.