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depuis que nul ne savait plus où étaient les droits du roi et ne voulait plus savoir où sont les droits de Dieu. Et pour se consoler, le vieillard, prenant l’enfant sur ses genoux, lui répétait les antiques légendes de la fondation de la ville vers le temps de la destruction de Troie la grande, longtemps, bien longtemps avant la venue, de Notre-Seigneur. Puis, en descendant le cours des traditions populaires, il trouvait les histoires parfois si dramatiques et si naïves des luttes que les ancêtres avaient soutenues contre les seigneurs. C’était ainsi que se formait dans le cœur de Coquillart l’amour de la bonne ville, le patriotisme communal et la fierté bourgeoise. Le poète devait profiter de toutes ces narrations belliqueuses : il était destiné à représenter tous les côtés de la bourgeoisie rémoise, et quoiqu’il n’ait pas été en assauts de ville ou en traits d’épées, pourtant il devait parler de la guerre, car Reims fut guerrière, et en parler d’une grande façon.

Les légendes et les souvenirs marchaient de pair, on le voit, dans les entretiens de la famille avec les nouvelles de la guerre. Il faut le reconnaître toutefois, et c’est ce qui sépare surtout le XVe siècle du reste du moyen âge : les événemens avaient alors sur les âmes un bien plus grand pouvoir que les traditions et les légendes. Les bourgeois de ce temps, quand la vie était autour d’eux si puissante et si animée, n’avaient pas besoin d’offrir à leur Imagination l’appât de cette vie lointaine et factice qu’ils trouvaient dans les romans, et de tous les enseignemens apportés par l’éducation ils retenaient ceux-là surtout qui étaient en rapport avec la tournure d’esprit vive et sceptique que leur avaient faite les événemens. Coquillart n’avait pas non plus complètement reçu cette éducation chevaleresque et légendaire des classes nobles et populaires ; dans les familles des gens de loi, le côté positif de la pensée était souvent cultivé aux dépens du cœur, et l’esprit au détriment de l’imagination. Il y avait aussi dans la ville de Reims une espèce caractéristique d’esprit qui devait singulièrement agir sur l’instruction de ses enfans : c’était une sorte de brutalité vive, hardie et sarcastique, une grossièreté ingénieuse, vis-à-vis des femmes surtout, et qui se retrouve dès le XIIe siècle dans les chansons rémoises ; c’était cet amour des proverbes qui semble inhérent à la puissance de la bourgeoisie, au développement des idées communales, et qui dès le XIIIe siècle encore donné à la chronique de Reims une si originale physionomie. Tous ces hasards nous expliquent comment Coquillart devait peu profiter de la partie grave et touchante de l’éducation du moyen âge.

Ce côté moral et sévère était alors du reste fort ennuyeusement représenté par les lourdes allégories de maistre Alain Chartier et de dame Christine de Pisan, par les longues et verbeuses moralités du XIVe siècle, le Roman du Pèlerin, de Guillaume de Guilleville, le Champ vertueux de BonneVie, de Jean du Pain du Bourbonnais, le Respit de la Mort de Jean Le Fèvre. Pourtant il y a dans ces deux derniers une vivacité de forme, dans J. Le Fèvre une suite de vives et sanglantes satires qui ne laissèrent pas d’exercer une certaine influence sur le génie de Coquillart.

Ce génie se trouvait en tout semblable à celui de la ville natale du poète, et il allait chercher la direction de son avenir aux mêmes sources où venait s’ébattre depuis si longtemps la fine fleur de l’esprit rémois. Nul n’écoutait