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la volonté du père ou du parrain, et ne le gardaient que quand il s’était fait célèbre. Quoi qu’il en soit, nous voyons apparaître pour la première fois le nom de Coquillart en 1438. À cette époque, maistre Guillaume Coquillart, conseiller de ville, reçoit 6 livres 12 sols parisis pour frais d’un voyage qu’il venait de faire à Nesle par-devers Guillaume de Flavy. Il avait été envoyé par le conseil, et il s’agissait de conclure avec ce capitaine pillard un traité dans lequel il s’engagerait à empêcher ses gens d’armes d’inquiéter dorénavant le commerce de Reims. Ce maistre Guillaume Coquillart, que nous devons regarder comme le père du poète, était, selon toute apparence, quelque avocat. Le titre de maistre ne se donnait en effet qu’aux gradés de l’Université et aux chefs des corporations, et c’étaient surtout les hommes de loi, gens experts et habiles, que la commune employait dans ses négociations. Cette part qu’il prit aux événemens de son temps peut nous faire comprendre l’influence qu’ils exercèrent sur l’esprit de son fils. Cette éducation par les événemens fut du reste corrigée et complétée en même temps par une autre branche importante de la pédagogie au moyen âge, par l’enseignement dans la famille, par l’éducation du coin du feu, si je puis dire. C’était cette dernière qui avait jusque-là joué le plus grand rôle dans la direction non-seulement des mœurs, mais aussi de la littérature, et si elle avait à Reims, et au XVe siècle, une apparence particulière, elle avait pourtant encore gardé quelques traits de sa physionomie antique.

Combien de fois en effet, dans la famille où grandissait le poète, les légendes et les contes n’avaient-ils pas réveillé tous les esprits ! Combien de fois, après le gros coup de la fermeture des portes sonné en l’église de Reims, maistre Guillaume le conseiller n’était-il pas sorti tout anxieux pour aller, en quelque secrète réunion des puissans bourgeois, aviser au fait de la chose publique et deviser sur l’état des murailles et des habillemens de guerre : Il avait laissé la maison triste et la mère inquiète ; on n’entendait point l’antique complainte aux cent couplets, le noël aux vives allures, qui commençaient autrefois si gaillardement les contes de la veillée, le bonhomme, l’aïeul, quelque vieux dizainier ou connétable du temps de l’archevêque Pierre de Craon, sommeillait dans son raide fauteuil à bras, au coin du petit feu de sarmens, attendant le retour du fils et les nouvelles de la guerre ; les chambrières filaient les toiles de la famille pour qu’elles fussent belles et blanches et sentissent « doux comme pervenches, » et les varlets aiguisaient les socs, affilaient les faux et les serpettes, pour le cas où il plairait aux damnés gens d’armes de permettre le labourage, la vendange et la moisson. Et la mère, pour chasser les soucis du temps présent, pendant qu’elle déshabillait l’enfant et pour le préparer à la prière du soir, la mère lui racontait quelque légende : les marteaux s’arrêtaient, les fuseaux descendaient plus lentement. C’était quelque miracle de Notre-Dame : « comment le roy Clovis se fit crestienner à Reims ; comment Notre-Dame sauva la femme innocente d’être brûlée, » ou tout autre. C’était la douce dame, la belle Vierge, comme disaient les marchands venus des marches de Lorraine, celle qui est le port des dévoyés et dont le sein est plein du lait des cieux. Et le chant des fuseaux accompagnait comme d’un lointain applaudissement la poésie de la douce dame :