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leur influence sur son esprit. Nous retrouverons plus tard les principales idées qu’ils lui fournirent ; mais nous pouvons constater dès maintenant, — et des événemens analogues ont apporté à la littérature de notre siècle une direction semblable, — qu’ils développèrent en lui le sens de la vue en littérature, c’est-à-dire l’observation matérielle et l’amour des images.

Alors en effet c’était l’accident de chaque jour qui était l’école de la jeunesse, et c’était le bruit de la ville qui était le maître professeur. Que de fois l’enfant ne vit-il pas la guerre se rapprocher des murailles, toute la ville dans la terreur, tous les habitans dans les rues ! Des escouades des gens des métiers s’en allaient, sous la conduite des connétables, couper les bois jusqu’à une demi-lieue, nettoyer les fossés, réparer les brèches. Tous les bestiaux rentraient en grand tumulte. Les portes de la ville se fermaient, nul ne pouvait plus sortir. Les dizainiers couraient dans toutes les maisons faire provisions de claies, de tonnelets pleins de terre pour garnir les murs. Puis c’était la montre des habillemens de guerre, la revue des arbalétriers et de tous les hoquetons. Le lieutenant, accompagné du clerc de la ville, allait en toute hâte visiter les tavernes et les quartiers habités par les mendians ; on expulsait les étrangers, les truands les plus insoumis, les nouveau-venus parmi les varlets des métiers. Les chaînes étaient tendues partout en grand trouble et avec grand bruit. Les craintes du dedans, les défiances nécessaires venaient encore compliquer la situation. Le capitaine n’allait-il pas livrer la ville aux gens de guerre ? les quarteniers étaient-ils fidèles, et les clefs remises en bonnes mains ? On n’entendait parler que de villes assaillies, vendues, horriblement pillées. Ceux du menu peuple qui avaient été autrefois soupçonnés et punis relevaient la tête ; ils s’en allaient criant par les tavernes que le moment était venu où ils allaient reprendre les armes qu’on leur avait enlevées, que le conseil était composé de traîtres, qu’il était temps de taire de tous ces gens-là des cardinaux à tête rouge. Alors sonnait la grosse cloche des convocations populaires. Mille ou douze cents personnes s’assemblaient place de l’Archevêché, pendant qu’en l’église des Cordeliers on réunissait deux cent cinquante des plus notables et des plus puissans pour les prier et induire à prêter l’argent nécessaire à la guerre. Parfois les assemblées étaient interrompues par un effroi soudain. Vite aux portes et aux murailles ! celui-ci à la Porte-à-Vesle, pour garder le bourg avec Guillaume de Condé, celui-là à la Porte-Mars avec benoît de Saint-Remy, ces autres à la Porte-Chacre avec Mgr d’Ogé, le chanoine ; ceux-là, les plus faibles, avec Cauchonnet, sur la place du Marché pour recueillir les blessés[1].

Quand la guerre s’éloignait un peu, restaient toujours les pillards, les soldats en garnison dans les châteaux voisins. Tandis qu’on gardait les champs afin de protéger les travaux de la moisson, ces pillards s’avançaient parfois jusqu’à la prairie qui est devant la ville, pour enlever les troupeaux. La cloche de Saint-Symphorien appelait la commune aux armes ; tous se précipitaient à la rescousse de leurs biens, mettaient en fuite les larrons, les poursuivaient avec toute sorte de mots insultans et d’injures piquantes : « Tourne,

  1. Nous n’avons pas besoin de dire que ces noms sont authentiques ; Tels étaient en effet les postes que devaient occuper ces importans personnages, d’après une délibération du conseil de ville, 21 août 1426.