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avait tellement profité de sa position, qu’elle tenait des ambassadeurs auprès du roi, et qu’elle avait formé à Laon une convention où chaque ville de Champagne et de Vermandois envoyait des députés, et où elle-même jouait le rôle le plus important.

Néanmoins elle allait bientôt apprendre que la monarchie une et forte pouvait seule sauver la France de la domination étrangère, et que le gouvernement des Bourguignons n’était que la préface du gouvernement des Anglais. Un beau jour, en effet, Reims se trouva ville anglaise ; la vanité bourgeoise et la crédulité populaire l’avaient conduite à cette extrémité, qu’elle avait repoussée jusque-là si vigoureusement et au prix de tant de sang. Il y eut alors dans la cité un moment de grand trouble. Les familles qui portaient les fleurs de lys dans leur cœur, selon l’expression d’alors, ces partisans des Armagnacs, qu’on avait tant persécutes quelques années auparavant, se trouvaient vengés par la honte de leurs ennemis. Ils rappelaient ce que Reims avait été avant le triomphe des Anglais. — Elle avait toujours été fidèle, la vieille ville du sacre, disaient-ils. C’était dans ses murs qu’on avait toujours trouvé les meilleurs soldats contre l’Anglais. À la dernière douloureuse bataille, à Azincourt, le grand bailly de Vermandois les avait menés avec les autres communes de son bailliage, et tous y étaient restés étendus auprès de leur chef, plus braves et plus loyaux que bien des seigneurs de France. Plus loin encore, quand le roi Jean avait été pris après la bataille de Poitiers, plus de soixante-dix ans en ça, nulle autre, comme la bonne ville n’avait montré sa douleur ; elle avait fait cesser tous les jeux, empêché danses, fêtes et festins ; on eût dit, répétaient les vieillards, une ville excommuniée. — Il y avait de plus quelque chose de particulièrement désagréable au génie national dans ce roi Henri si complètement anglais et formaliste, tergiversant, négociant, attendant, se fortifiant toujours et ne s’emportant jamais, entourant ses armées de pieux aigus et préférant prendre les villes par la famine que par l’assaut. Du reste froid et brutal, c’était une sorte de prototype de puritain enthousiaste et dogmatique en même temps. Il paraissait avoir une tendance instinctive à vexer la vanité des clercs et de l’université de France. Il avait aussi des doctrines de guerre qui faisaient frissonner les marchands et laboureurs : « guerre sans feux, disait-il, ne vaut rien, non plus que andouilles sans moultarde. » Aussi déplaisait-il à la bourgeoisie de tous les degrés ; mais il était grandement craint et à bon droit. C’était un profond politique, excepté en ceci, qu’il ne sut jamais dissimuler son orgueil ni son mépris de la nation vaincue. Sa diplomatie, qui ressemblait assez à celle de Louis XI, ne reculait devant rien : à la moindre apparence de mouvement populaire, il lançait ses archers sur le menu peuple, qui en avait une frayeur mortelle. Les gens de Paris avaient enfin trouvé un maître autrement terrible que les Armagnacs, contre lesquels ils s’étaient tant révoltés. Tout cela se disait dans la cité, mais à voix basse, car il ne fallait point trop murmurer contre le terrible roi pendeur. Le moment n’était pas encore venu ; les préjugés contrôles Armagnacs restaient dans toute leur force, la populace était par là bien disposée en faveur des Anglais. Les Rémois prêtèrent donc le serment qu’on leur demanda à tous, jusqu’aux porchers des abbayes et aux chambrières, et à son passage à Reims Henri V fut reçu avec enthousiasme de la part du peuple avec une prudente courtoisie de la part de l’aristocratie municipale. Le