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créatrice du travail, les améliorations agricoles, les usines, la navigation de long cours, ainsi que les voies intérieures de communication. Le marché des capitaux peut-il, en temps de guerre, défrayer concurremment les besoins des services publics et ceux de l’industrie ? Dans quelle proportion les épargnes de la nation sont-elles disponibles pour ce double usage ? La crise que nous traversons peut servir à le déterminer.

Depuis le milieu de l’année 1853, d’abord sous l’influence des alarmes qu’excitaient les desseins déjà manifestes de la Russie, et bientôt sous la pression de la guerre imminente ou déclarée, la situation du commerce, de l’industrie et du crédit s’est altérée en Europe. Les mauvais résultats de la récolte, venant ajouter aux anxiétés de l’opinion, ont pu aggraver ce malaise. Cependant la crise a une autre origine : il faut l’attribuer principalement à des causes politiques, qui ont agi sans mélange au début, et qui, les embarras des subsistances touchant à leur terme, vont avoir le champ libre désormais.

La dépression des valeurs a été lente, mais continue, pendant près de dix mois, et a fini par exercer une désastreuse influence sur la fortune publique. Les 3 pour 100 consolidés que la bourse de Londres cotait à 100 au mois de juin 1853 étaient tombés à 87 vers la fin de mars 1854, ce qui représentait une baisse de 13 pour 100. Le 3 pour 100 français, qui avait atteint un moment le cours de 86 fr., et qui se cotait encore 79 fr. 50 au mois de juin 1853, descendait, dans le courant de mars 1854, au-dessous de 63 fr., ce qui représentait, sur les cours de juin, une baisse d’environ 20 pour 100.

Dans un discours que M. Bright adressait, le 31 mars dernier, à la chambre des communes, l’honorable représentant de Manchester constatait que la dépréciation des fonds publics en Angleterre équivalait alors à une perte de 120 millions sterling, et que la dépréciation des valeurs industrielles, telles que les actions de chemins de fer, qui avait été proportionnellement plus forte, équivalait à une perte de 80 millions sterling. L’Angleterre avait donc vu, sur deux branches de sa richesse, et sans parler de l’agriculture ni de l’industrie manufacturière, le capital national diminuer, comme valeur vénale, de 200 millions sterling, 5 milliards de notre monnaie.

La baisse des valeurs mobilières a fait les mêmes progrès en France. Nous n’avons pas, comme en 1848, perdu à la fois sur le capital et sur le revenu, car les recettes des chemins de fer en particulier ont présenté, pour l’année 1853, un accroissement de 16 pour 100 sur les résultats correspondans de 1852, et le premier semestre de 1854 a donné, pour le réseau de 4,152 kilomètres, une recette de 86 millions, d’où ressort un accroissement de 12 38/100es pour 100 dans le produit kilométrique, mais cette augmentation, dont la régularité est vraiment remarquable, n’a pas préservé les actions des chemins de