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avec la faculté d’emprunt, les travaux qui préparent la grandeur ou le repos des nations. Admettez au contraire qu’un gouvernement peut tout ce qu’il veut, et qu’il est toujours le maître de dégrever le présent pour grever l’avenir, et vous allez donner à ceux qui viendront après lui l’irrésistible tentation de répudier le fardeau qu’on leur aura légué, et qui, du moment qu’il deviendra trop lourd, ne manquera pas de leur paraître injuste.

Un gouvernement prudent ne doit exclure de ses moyens d’action ni l’impôt ni l’emprunt. Pourquoi restreindre de gaieté de cœur les limites du possible ? L’état vient d’emprunter 250 millions : passons sur les faits accomplis ; mais des besoins nouveaux se déclarent. Est-ce le cas de s’adresser encore une fois au crédit ? Si l’on prend ce parti, il faudra bien attendre le terme des versemens qui restent exigibles, car on ne peut pas enchevêtrer l’emprunt qui va s’ouvrir avec l’emprunt déjà ouvert. Cela nous conduit au mois de juillet 1855. On s’est publiquement et hautement félicité des résultats qu’a produits au mois de mars dernier la souscription publique. Ce mode a beaucoup d’avantages, dont le plus considérable à mes yeux est d’attirer dans la rente les petits capitaux de province, qui, en se jetant sur les acquisitions territoriales, enflaient la valeur du sol et le fractionnaient en parcelles pour ainsi dire impalpables. Cependant à côté des avantages viennent se placer des inconvéniens très sérieux. Il ne faut pas se dissimuler que le dernier emprunt a épuisé la province, en même temps qu’il écartait ou rebutait les grands capitalistes. Cet état de choses rend, je le crains bien, aussi difficile de convoquer de nouveau la foule que d’obtenir des soumissions à forfait. On a peut-être agrandi le marché des rentes à l’intérieur, mais on s’est privé d’une ressource qui importe surtout aux jours de crise, en éloignant les capitaux de l’Angleterre et de l’Allemagne. L’emprunt de 1854, du reste chèrement payé, eût présenté une combinaison excellente et à l’abri de la controverse, si l’état n’avait plus dû emprunter. Ceci ne veut pas dire que les bourses vont se fermer devant le gouvernement ; je crains seulement qu’il ne trouve pas, quand il le voudra, l’argent très abondant ni les conditions très faciles.

Il semble naturel que la génération dans l’intérêt immédiat de laquelle la France prend les armes contribue à la guerre de ses ressources pécuniaires comme elle y contribue de son sang. Il y a place pour un impôt de guerre dans tout budget bien ordonné. Cet impôt est, comme on le pressent, la contribution directe qui s’adresse ouvertement aux facultés des contribuables, et que l’on allège dans les années de prospérité pour la retrouver plus élastique et plus féconde dans les temps d’épreuve. Je sais bien que les gouvernemens qui rehaussent le tarif des contributions, même en présence d’une nécessité reconnue, sont rarement populaires ; mais le devoir passe