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aux frais de production et viennent en déduction du produit net. Cependant les taxes extraordinaires attaquent le plus souvent les sources même du capital. La nécessité peut les justifier, elles peuvent être, à un moment donné, le moindre de plusieurs maux, mais on ne parviendra pas à les ériger en ressources normales.

Pour que l’impôt de guerre ne frappât que le superflu, il faudrait que chaque contribuable tînt des épargnes en réserve. Or l’accumulation des capitaux, dans tout pays, s’opère par un petit nombre de mains. Ne fait pas des économies qui veut. Pour ceux mêmes qui ont le nécessaire, le travail ne produit pas toujours avec abondance, et l’esprit d’ordre et de prévoyance préside rarement à l’emploi des produits. L’immense majorité des individus, à l’exemple des gouvernemens, joint à peine les deux bouts, ou solde son année en déficit, et la fortune privée, les hypothèques ainsi que les ventes par autorité de justice en font foi, n’est pas mieux administrée que la fortune publique. On risque donc, en exagérant les taxes, de demander de l’argent principalement à ceux qui en manquent. L’emprunt au contraire, étant facultatif pour les souscripteurs, ne tente que ceux qui ont de l’argent en réserve, ceux dont le revenu excède les dépenses, ceux qui ont fait des épargnes, en un mot les détenteurs du capital disponible, les vrais trésoriers du pays. Au reste, l’observation des faits mieux que tous les raisonnemens résout ce problème. L’impôt de guerre ne réussit pleinement que lorsqu’il s’adresse, comme aujourd’hui en Angleterre, à des classes de choix, lorsqu’il va puiser dans la bourse des riches ; mais alors ce n’est qu’un emprunt déguisé.

M. Gladstone avait, pour expliquer la politique du gouvernement anglais dans cette circonstance, de meilleurs argumens que les théories des économistes dont il a invoqué le nom, et qui, n’ayant jamais concouru au maniement des affaires publiques, manquent, en matière d’impôt et de crédit surtout, quand ils s’engagent dans les sentiers les moins frayés de la science, de l’expérience qui fait autorité. L’income tax, l’impôt de guerre dans la Grande-Bretagne, trouve sa raison d’être dans la situation présente et dans le passé de la nation. C’est ce que le chancelier de l’échiquier, qui avait négligé ce moyen le 7 mars, a exposé le 9 mai suivant dans un passage de son discours qui restera comme un excellent morceau d’histoire. Je traduis en abrégeant :

« J’ai sous les yeux le budget de la guerre pour l’année 1792. M. Pitt, ayant à pourvoir à une dépense extraordinaire de 4,500,000 liv. sterl., proposa de la couvrir, non pas en remplissantl’échiquier par le produit des taxes, mais en recourant aux capitaux de la Cité et en ouvrant un emprunt de 6 millions de livres sterling ; il espérait l’obtenir au taux de 4 pour 100, mais il fallut donner un intérêt de 4 liv. 3 shill. 6 den. (un peu plus de 4 1/6 pour 100).