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au loin des gémissemens, pressentant que la réponse ne lui arriverait plus.

Ugo Foscolo mourut d’une hydropisie le 14 septembre 1827, âgé de quarante-huit ans. Dans sa pièce mélancolique des Tombeaux, il semblait envier le bonheur des morts ensevelis aux portes des petites villes anglaises, sous un abri de gazon, à l’ombre des arbres. Telle fut aussi sa dernière demeure : l’enfant de Venise et de Zacynthe la boisée repose sous une modeste pierre du cimetière de Chiswick, près de Londres.

La destinée de Foscolo semble contenir un enseignement bien amer pour les Italiens qui ont embrassé la carrière des lettres. Voilà donc comment on finit quand on a respiré le beau ciel d’Italie, et qu’on ne s’est pas laissé gagner à son énervante influence : on est exilé ; on mange, et quelquefois on mendie misérablement le pain de l’étranger ; on vit à peine sous un climat qui paraît glacé ; on lutte sans cesse contre l’oubli, le mépris, l’indigence, jusqu’à ce que la mort ensevelisse les restes du proscrit dans une terre qu’il n’aime pas. Faut-il donc renoncer à l’espoir d’une littérature patriotique ? faut-il abandonner les traces de Dante, et recommencer l’harmonieuse et insignifiante cantilène des pétrarquistes ? faut-il que la poésie italienne se condamne à être un art frivole d’images vaines et de mots sonores ? faut-il, pour être poète, renoncer à être citoyen ? Non, il ne faut pas désespérer d’un pays qui a de si nobles souvenirs et de si riches espérances. Foscolo, comme plus d’un de ses contemporains, a souffert pour la cause de l’Italie ; mais le sacrifice porte des fruits, et la souffrance est féconde. Déjà la littérature italienne a repris un caractère national. Quelques années de silence et d’abattement ne peuvent pas étonner après les dernières secousses. Que les plus dignes recueillent l’héritage des Parini, des Torti, des Foscolo, afin qu’il ne tombe pas aux mains des brouillons et des insensés. Qu’ils ne rêvent pas le retour du siècle des Brutus et des Publicola, comme les Rienzi modernes, et pourtant qu’ils ne séparent pas le poète du citoyen. Pour que la littérature et la nation se retrouvent et demeurent en possession l’une de l’autre, il faut que les citoyens ne soient pas trop romains, ni les poètes trop italiens.


L. ÉTIENNE.