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Un instant Foscolo crut avoir conjuré la colère de la destinée ; les brillantes promesses de quelques libraires lui montraient un avenir plus riant ; ses lettres de cette époque contiennent de beaux songes dorés. Il rêva, comme un poète anglais, un collage à lui appartenant, des appartemens simples, mais commodes, et surtout bien clos, où sa nature méridionale pourrait trouver un peu de chaleur. Il en fit bâtir un à ses risques et périls, et en souvenir d’une discussion philologique où il avait pris quelque part, il lui donna le nom de Digamma-Cottagje ; mais ce moment de confiance et de bonheur fut chèrement acheté. Les ressources d’argent sur lesquelles le poète avait compté lui manquèrent ; sa chère maisonnette acheva de le ruiner. Il essaya d’abord de faire face à ses engagemens, il lutta jusqu’à la fin ; mais l’entreprise était au-dessus de ses forces. L’auteur de Jacques Ortis, l’ancien chef d’escadron au service du roi d’Italie, l’ancien professeur d’éloquence à l’université de Pavie, le célèbre poète, le critique éminent, fut enfermé pour dettes. Les derniers temps de cette agonie morale sont aussi obscurs qu’ils étaient douloureux. Des hommes généreux vinrent au secours du pauvre poète ; quelques amis le consolèrent dans sa détresse ; parmi ceux-ci était le chanoine Riego, frère, si je ne me trompe, de Riego, cette autre victime plus illustre encore des guerres civiles. Une fille qu’il avait retrouvée en Angleterre veilla, durant sa dernière maladie, à son chevet ; elle s’appelait Floriana Foscolo Emerytt ; quelques années après, elle suivit son père dans la tombe, et laissa les papiers du poète à M. Riego, qui les rendit à l’Italie.

Nous avons raconté la vie de Foscolo avec sa correspondance ; les trois volumes qui la composent sont assurément les plus intéressais de tout le recueil de ses œuvres. Nous avons déjà dit combien Foscolo aimait ses lettres ; ce goût particulier suffirait à prouver qu’il las écrivait avec amour, et qu’il s’y mettait tout entier. Aussi, nous ne craignons pas de le dire, sa correspondance est son meilleur ouvrage. Dans ses tragédies, il est l’imitateur souvent déclamatoire d’Alfieri ; dans ses poésies trop peu nombreuses, il est plus original, il est nerveux, et parvient souvent à la beauté simple et antique des vieux poètes, mais il est tendu et quelquefois pénible. Dans son roman, il a tiré de son âme un type énergique et nouveau où l’Italie jeune et fougueuse de 1796 a pu se reconnaître, mais il déclame ; son style y sent l’effort, et, quelle que soit sa part considérable d’originalité, il est effacé en partie par l’œuvre de Goethe. Sa correspondance est pleine de naturel ; tantôt elle respire la passion, l’énergie, la conviction forte et sérieuse, tantôt le doute, l’incertitude, le découragement. C’est son âme elle-même qu’il communique à ses amis. Elle est tour à tour éloquente et gracieuse, grave et spirituelle, on