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aux loisirs d’une académie. Il y avait bien longtemps peut-être qu’on n’avait vu un poète portant l’épée ; il ne manquait à Foscolo que les triomphes du théâtre. Avant l’âge de vingt ans, il avait fait jouer à Venise une tragédie de Thyeste, que le patriotisme des Vénitiens avait applaudie. C’était l’essai d’un jeune homme, imitateur passionné d’Alfieri. Il fit plus tard deux ouvrages, Ajax et Ricciarda, qui furent représentés par toute l’Italie. Ni l’un ni l’autre n’est un drame qui puisse vivre longtemps ; Foscolo n’a retenu d’Alfieri que le style laconique et sentencieux.

On sait que le poète piémontais était médiocrement doué du génie dramatique : il avait la vigueur de la pensée et la forte peinture des caractères ; mais il ne connaissait pas le développement des passions, ses personnages raisonnent et n’agissent pas. Un illustre professeur a montré dans le théâtre d’Alfieri l’influence française, et c’est presque de la présomption de ne pas s’en tenir à citer son jugement. Oserai-je dire que je crois y voir une influence plus ancienne en même temps que plus directe, une influence qui était naturalisée en Italie bien avant celle de la France, l’influence de Sénèque ? À notre sens, il n’y a que deux sortes de tragédies au monde : d’une part, la tragédie d’action, celle qui se joue et qui est faite pour émouvoir les hommes réunis par la représentation vivante de la réalité ; de l’autre, la tragédie plus littéraire que dramatique, celle qui n’est pas faite pour être jouée, si ce n’est par hasard, mais pour être lue : la tragédie de cabinet. Le type de cette dernière est assurément celle de Sénèque. Tôt ou tard la seconde succède à la première, mais il y a des pays qui n’ont jamais eu que la seconde, et l’Italie en est un exemple. La tragédie italienne est presque tout entière une tragédie de cabinet ; les ouvrages qu’elle produisait avaient un petit nombre de représentations, fort souvent une seule, le plus souvent même pas une ; aussi Sénèque est-il le modèle généralement suivi. Quand la tragédie n’est pas faite pour la représentation, la vérité dramatique n’est plus la première loi ; elle est sacrifiée aux pensées de détail, aux maximes, aux sentences ; le drame cesse d’être l’affaire principale ; il n’est plus qu’un cadre. Les tragédies d’Alfieri ont sur celles du XVIe siècle l’avantage du temps, de l’expérience et des exemples ; elles ont profité des progrès de l’art dramatique, mais elles sont toujours italiennes ; elles sont écrites pour être lues, tout au plus pour être jouées, disons plutôt déclamées, devant un auditoire choisi. Le débit dans ces conditions est encore une espèce de lecture. In tel genre de pièce est surtout favorable aux développemens philosophiques et politiques ; le théâtre alors devient aisément une tribune, tribune plus discrète que l’autre, car c’est une tribune d’académie qu’on peut tolérer partout.