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pensées de ce malheureux, qui n’est pas fait comme ses semblables ; il ne nous inspirera pas un véritable intérêt, parce que nous ne saurions nous reconnaître en lui. Il est donc permis de le dire : le caractère de Werther, son suicide même, est dans la vérité, vérité relative, entendons-nous bien, ils sont vrais comme le mal est vrai, ils existent comme le mal existe, voilà pourquoi nous maintenons que Werther est humain et général, voilà pourquoi nous croyons que ce roman restera.

Nous pouvons maintenant passer à l’œuvre de Foscolo. Le premier caractère qui se présente à la lecture des Dernières Lettres de Jacopo Ortis, c’est le défaut volontaire d’unité. Le cœur d’Ortis est partagé entre deux sentimens, son amour pour sa patrie et sa passion pour Thérèse. Tant que le désespoir du citoyen est combattu par les illusions de l’amant, Jacopo Ortis peut vivre encore ; mais le jour où Thérèse lui dit : « Je ne serai jamais à vous ! » la résolution fatale du patriote reprend son empire ; le premier, le plus ancien des deux sentimens de Jacques Ortis ne rencontre plus d’obstacles dans le second, ou plutôt il y trouve une nouvelle force, et tous les deux se tournent en désespoir. Le suicide d’Ortis est-il celui du citoyen ou celui de l’amant ? Le poignard dont il se frappe est peut-être poussé par la jalousie, mais n’est-ce pas le fantôme de la patrie expirante qui le lui a mis entre les mains ? Ortis inscrit le suicide dans le catéchisme du citoyen ; il méprise les âmes timides qui ne courent pas au-devant de la mort, la mort volontaire, à ses yeux, est un devoir politique. Sa faiblesse peut aller jusqu’à éloigner le moment fatal ; l’amour de Thérèse est un ajournement du devoir ; il n’y a là aucune de ces mollesses du cœur, ni de ces défaillances qui mènent un amant au suicide. Non, Ortis ne se laisse pas entraîner à la mort, il n’y va pas à reculons avec le fatalisme de Werther, il y marche tête levée et il fait parade de son courage.


« Tu m’accuses de lâcheté, toi qui vends ton âme et ton honneur. Viens, regarde-moi tandis que j’agonise et que je râle dans mon sang ! tu trembles ! Quel est ici le lâche ? Tire-moi ce couteau de la poitrine, saisis-le de ton poing et dis-toi toi-même : « Dois-je vivre éternellement ? » Choisis une douleur extrême, mais courte et généreuse. Qui sait ? la fortune te prépare peut-être une mort plus douloureuse et plus infâme. Confesse la vérité ; maintenant que tu tiens la pointe de cette arme fermement dirigée contre ton cœur, ne te sens-tu pas capable de toute belle action, et ne te vois-tu pas libre et maître de tes tyrans ? »


Faut-il d’autres preuves ? Ortis ne veut pas que l’on croie qu’il se tue par amour :


« Non, chère enfant, tu n’es pas la cause de ma mort. Mes passions désespérées,