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vieux prêtre de Milan, vint trop tôt pour avoir sa part des souffrances ; mais il vécut et mourut loin de sa patrie. Torti et Ugo Foscolo, pieux élèves du poète patriote, furent proscrits. L’un a rendu le dernier soupir à Gênes en 1852, au sein de la généreuse hospitalité du Piémont ; l’autre a traîné à travers l’Europe ses tristes infortunes, et repose depuis vingt-cinq ans dans le cimetière d’un village d’Angleterre.

Cette école poétique se distingue d’une école plus nouvelle encore, et dont le nom de Manzoni est l’expression la plus populaire : elle n’est pas novatrice dans les lettres, et n’a rien adopté du système littéraire qui a fait le tour de l’Europe sous le nom de romantisme. Elle est fidèle au culte des anciennes littératures : elle est classique avec ténacité. Ugo Foscolo est né à Zante, la Zacynthe boisée d’Homère ; il étudie sans cesse ses poètes hellènes ; il sait le grec comme Coray, il est Grec de doctrines comme de naissance.

Ugo Foscolo nous occupera seul aujourd’hui ; sa correspondance, considérablement augmentée de lettres inédites, ouvre un jour nouveau sur sa vie, et les renseignemens biographiques plus complets qu’elle fournit nous permettent de faire du poète un portrait sinon plus intéressant, du moins plus fidèle. Jusqu’ici, l’auteur de Jacopo Ortis s’est offert au public et aux écrivains tantôt comme un fier républicain, dernier représentant de l’indépendance italienne mourante ou un patriarche de la Jeune-Italie et d’une république à venir, tantôt comme une sorte de René, mais plus violent et plus déchaîné, un de ces êtres tristement privilégiés qui réunissent en eux toutes les maladies morales d’un siècle. Ceux-là ont peint un Ugo Foscolo tout d’une pièce, inflexible et debout quand tous les autres pliaient ou étaient abattus, se soutenant seul à la manière d’un héros de Bossuet, et seul menaçant encore le vainqueur de ses tristes et intrépides regards. Les Italiens ont beaucoup contribué à répandre cette peinture de convention. Ces proportions héroïques sont données au poète patriote par ceux qui veulent en faire un des saints d’une certaine religion politique, et j’imagine que si M. Mazzini avait eu le temps d’être, ce que l’un a espéré, un éditeur des œuvres complètes de Foscolo, il eut encore ajouté quelques rayons à cette apothéose. Les autres ont travesti le poète en un de ces types tout faits qui régnaient dans les imaginations il y a vingt-cinq ans, un de ces dévergondés poétiques, de ces sensuels exaltés, haïssant le genre humain et ne faisant de mal qu’à eux-mêmes et à ceux qui seraient tentés de suivre leur exemple : ascétiques débauchés qui se jetaient de la méditation philosophique dans l’orgie, qui passaient comme l’éclair d’une extrémité à l’autre du monde moral, et tarissaient en peu de temps la coupe des plaisirs et des douleurs de cette vie. Par l’effet