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ne seront régénérés, suivant lui, que lorsqu’on aura répandu dans le pays l’institution des jurés populaires, et lorsque la publicité la plus absolue régnera dans toutes les branches du service tant administratif que judiciaire. L’auteur pourrait avoir raison ; la publicité a déjà fait beaucoup d’autres merveilles en Russie, et le système d’arbitrage qu’il propose répondrait à un sentiment tout national dans le pays. Le gouvernement russe a d’ailleurs sa véritable base au sein des masses, et en accordant des fonctions civiles aux classes inférieures, il ne ferait que se fortifier. L’intelligence, le tact et l’esprit de justice du bourgeois et du paysan russes les rendent très aptes à prononcer sur un grand nombre de questions qui sont actuellement abandonnées à des employés de bas étage, les moins capables et les plus corrompus de tous.

Il y a enfin une dernière remarque à faire sur ce livre, et cette fois c’est à l’auteur même qu’elle s’applique. L’exposé calme et sincère qu’il a fait d’une des époques les plus péniblement agitées de sa vie ne peut manquer d’éveiller un intérêt plus général que les exagérations de ses pamphlets. Pour qui embrasse la destinée littéraire de M. Hertzen, depuis ses premières études à Moscou jusqu’à son séjour à Londres, il y a lieu de croire que tant de luttes traversées, tant d’épreuves courageusement subies n’auront pas été perdues pour son talent. Sur les confins de la Sibérie, M. Hertzen consacrait ses jours d’exil à étudier dans ses plus mystérieux rouages l’administration russe ; à Londres, il a un moment dépensé dans des écrits éphémères une verve qui méritait un meilleur emploi. Aujourd’hui M. Hertzen s’élève à une région plus sereine, et on aime à retrouver l’observateur impartial à la place du tribun. L’instinct d’opposition s’est maintenu chez lui, mais en s’épurant, en se modérant sous la salutaire influence du malheur. Que M. Hertzen persiste dans cette voie ; qu’au lieu de se livrer à de stériles attaques, il dise la vérité sans faiblesse et sans colère. C’est une manière plus digne de combattre les abus qu’il déplore, et à la satisfaction de les dénoncer devant l’Europe viendra peut-être se mêler chez lui un sentiment plus doux, celui d’avoir provoqué des réformes salutaires et rendu service à son pays.


H. DELAVEAU.