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passés par le jeune étudiant dans les prisons de Moscou et dans les bureaux du gouverneur de Viatka. Il y a certainement à tirer de cette relation sincère quelques données utiles, et les faits qu’elle révèle s’ajoutent à d’autres informations pour prouver qu’en Russie le gouvernement, obligé à d’incessans efforts pour réprimer la cupidité des fonctionnaires publics, est souvent moins à blâmer qu’à plaindre. Il est certain aussi que les hommes considérables du pays ne secondent nullement le pouvoir dans sa tâche laborieuse, La plupart d’entre eux acceptent des fonctions civiles pour en tirer profit ; ils participent sans rougir aux plus scandaleux désordres. Quant aux seigneurs russes qui prêtent un loyal concours au gouvernement, il ne semble point que leur zèle soit fort éclairé, à en juger par un homme dont le nom est célèbre en Russie, et dont M. Hetzen parle en ces termes : « Il était de ce petit nombre de fonctionnaires probes, mais étrangers à la pratique des affaires, qui croient possible de remédier aux rapines des employés par des mesures arbitraires et d’éloquentes dissertations sur l’honnêteté. »

D’après les aveux de M. Hertzen, on est évidemment en droit d’imputer aux classes supérieures une grande partie des abus qui déshonorent en Russie la carrière des emplois publics. L’indifférence de ces classes livre en effet les emplois à des ambitions subalternes. Il est impossible de se dissimuler que les seigneurs russes n’ont jamais montré beaucoup d’ardeur pour le service de l’état. Au milieu du siècle dernier, ils mettaient encore fort peu d’empressement à porter l’épaulette, ainsi que nous l’apprend Manstein dans ce passage de ses Mémoires : « Lorsque l’impératrice Elisabeth publia un édit par lequel tout gentilhomme qui avait servi vingt ans était autorisé à demander sa démission, plus de la moitié des officiers voulaient en profiter. Chacun prétendait avoir déjà servi au-delà du nombre d’années fixé par le décret, car ils étaient inscrits dès l’âge de dix ou douze ans dans les cadres d’un régiment. » - « Il y en avait plusieurs, ajoute Manstein, qui chez eux n’avaient pas le sou et qui préféraient néanmoins labourer eux-mêmes leurs champs plutôt que de servir dans l’armée. » Ces fâcheuses dispositions ont changé, il est vrai, depuis les guerres qui ont signalé le commencement du siècle : la carrière militaire est maintenant tout aussi estimée en Russie que dans les autres pays ; mais les seigneurs russes ont toujours fort peu de penchant pour les emplois civils, et nous venons de voir à quelles mains ces emplois sont trop souvent abandonnés.

M. Hertzen, il est juste de le reconnaître, ne se borne point à peindre et à déplorer les scandales qui ont donné une si triste célébrité au corps des fonctionnaires russes ; il nous indique en passant le moyen d’y couper court. L’administration et les tribunaux