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du globe accourir, et ses prétentions ont grandi dans la même mesure. C’est ainsi que l’Union américaine est arrivée à être pour l’Europe, à un certain point de vue, une puissance aussi menaçante que la Russie, avec qui le cabinet de Washington vient de signer un traité de neutralité dans la guerre actuelle. Elle est menaçante par son esprit d’envahissement, par ses tendances dominatrices, par l’âpreté jalouse et exclusive de ses ambitions ; elle a cette autre ressemblance avec la Russie, que le droit lui importe peu : elle marche en avant, sûre d’avoir pour elle la suprême raison de la force. Il y a peu de jours encore qu’un sloop de guerre, envoyé par le cabinet de Washington, allait bombarder un port de l’Amérique centrale, San-Juan de Nicaragua, pour une injure douteuse. Notez que depuis plus d’un an la diplomatie de l’Union est occupée à agiter ces contrées de l’Amérique centrale. C’était d’abord un traité que M. Squiers allait négocier avec le Honduras pour l’établissement du chemin de fer interocéanique, et aujourd’hui on ne parle de rien moins que d’une démarche faite par le Honduras pour demander son annexion pure et simple aux États-Unis. Il y a quelques mois, avant les circonstances qui ont amené le bombardement de San-Juan, un ministre de l’Union, M. Borland se rendait dans le Nicaragua, et en remettant ses lettres de créance, il prononçait un discours qui était une sorte de manifeste, un exposé audacieux de la politique américaine ; c’était de plus comme un défi jeté à l’Angleterre. M. Borland développait longuement, la doctrine comme de Monroë, et montrait tous les liens qui existent entre les États-Unis et les républiques voisines. Après tout, que peut-on reprochera la politique américaine ? Est-ce son ambition usurpatrice ? Elle a mis la main, il est vrai, sur le Nouveau-Mexique et sur la Californie ; mais elle les a payés, et elle s’est contentée de s’approprier ces deux provinces, lorsqu’elle aurait pu garder le Mexique tout entier. Peut-on l’accuser de déguiser l’esprit de conquête sous le nom d’annexion ? Qu’y a-t-il d’étrange que les États-Unis désirent faire le bonheur des autres pays en les associant à leur prospérité ? En parlant à ces républiques de l’Amérique centrale, M. Borland avait soin d’ailleurs d’ajouter qu’il n’y avait aucun antagonisme entre leurs intérêts et ceux de l’Union. Ce n’est là qu’un symptôme de ce travail permanent et obstiné d’envahissement.

Les journaux américains rappelaient récemment quelques-uns des actes accomplis depuis peu. Les plus saillans sont sans nul doute le traité avec le Japon et le traité avec le Mexique, qui vient d’être ratifié. Le premier de ces traités est le fruit de l’expédition partie ces dernières années des États-Unis pour aller forcer la barrière derrière laquelle le Japon s’est retranché jusqu’ici. Le Japon, comme on sait, n’est en relations de commerce qu’avec les Hollandais et les Chinois. Le roi de Hollande écrivait, il y a quelques années, à l’empereur du Japon pour l’engager à ouvrir quelques-uns de ses ports aux Européens ; mais le souverain japonais répondait qu’il ne voulait pas se laisser entamer sur un point, de peur de devenir plus vulnérable sur tous les autres. Il n’en a pas moins cédé au commodore Perry, quand il s’est présenté à la tête de son escadre. D’après le traité signé le 31 mars 1854, les ports de Simoda et de Hakodade sont ouverts aux Américains, qui pourront y aller chercher le bois, l’eau, le charbon de terre et autres marchandises. Diverses