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qui arrive à Barcelone, où le général Manuel de la Concha en est à se débattre entre des émeutes d’ouvriers contre les fabriques et les séditions qui éclatent dans les corps militaires.

Au milieu d’une telle situation, le duc de la Victoire trouvera-t-il les ressources d’initiative et de décision qu’il n’a point trouvées quand il était plus jeune ? À son défaut, le général O’Donnell se montrera-t-il à la hauteur de circonstances qui sont si nouvelles pour lui, puisqu’il est pour la première fois au gouvernement ? Ce sont là des questions malheureusement fort douteuses. Pour le moment, l’Espagne marche au hasard, ne sachant plus sous quelles lois elle vit, et sur bien des points les populations sont forcées de prendre d’elles-mêmes des mesures contre les désordres qui les menacent. C’est là sans nul doute un état qui ne saurait durer, et il n’est point impossible que le sentiment de ce malaise profond ne provoque dans l’opinion une réaction favorable. Ce qui est à souhaiter, c’est que cette réaction, au moment où elle se produira, soit dirigée par des hommes intelligens et fermes, capables de ramener la Péninsule à un régime régulier et stable. Le général Narvaez adressait en 1851 cette grave parole aux progressistes : « Le jour où un parti politique pourra laisser le gouvernement, la direction des affaires publiques à un parti opposé, ce jour-là la nation recueillera le prix du sang qui a été versé et de tant de coûteux sacrifices ; mais j’ajoute une circonstance : ce sera le jour où ce parti pourra laisser la place à ses adversaires politiques pour que ceux-ci puissent gouverner suivant leur conscience, suivant leurs doctrines, sans être forcés de céder aux exigences de ceux qui voudraient aller plus avant. Là est la condition. » On voit si cette condition est remplie aujourd’hui. Elle est cependant la première loi, si l’Espagne veut rester une monarchie réellement libérale et constitutionnelle, au lieu d’être, comme elle s’est montrée si souvent, une monarchie tempérée par l’anarchie et l’insurrection.

Ces événemens extérieurs restent le principal aliment offert aux préoccupations publiques en France. Ce n’est pas qu’ils réagissent sur notre pays ; ils semblent au contraire rendre plus palpable et plus frappant le calme de notre vie intérieure. Si d’habitude ce calme est un résultat naturel du régime sous l’empire duquel se trouve placée la France, qu’est-ce encore lorsque la saison vient tout suspendre dans les régions officielles aussi bien que dans le monde, lorsqu’il y a une sorte de trêve tacite de, toutes les relations, de toutes les affaires ? Privé de cet aliment des faits et des incidens de tous les jours qui forment l’histoire courante et mobile du temps, l’esprit n’a d’autre refuge que l’étude des choses déjà disparues, ou des mouvemens lointains de la civilisation, c’est la littérature qui résume ces spectacles, qui fait vivre en quelque sorte, de la vie du passé qu’elle reproduit, de la vie des autres peuples qu’elle retrace, et ces spectacles ont souvent un intérêt inégal, bien qu’ils restent toujours instructifs par la diversité même des points de vue. Le moment de raconter et de caractériser avec vérité la révolution de février est-il venu ? Une telle question peut sembler étrange après toutes les histoires qui ont été écrites déjà. Tous ceux qui ont mis la main dans ces événemens ont fait leur confession, ils ont dit ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils ont cru voir, ils ont décrit surtout le rôle qu’ils ont eu la prétention de jouer ;