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fication : ils sont un premier témoignage de l’efficacité de l’intervention européenne dans une crise trop profonde et trop sérieuse pour pouvoir être dénouée par un coup de main heureux.

Les affaires d’Orient, quelque douloureux que soit parfois le spectacle de la guerre, ont du moins cet avantage, qu’elles élèvent l’esprit au-dessus des luttes vulgaires et stériles. Il n’en est point ainsi par malheur des événemens dont l’Espagne est le théâtre depuis quelques jours, et qui sont venus se mêler aux complications générales de l’Europe. La Péninsule est en proie à une révolution, dont elle ne se rend pas compte elle-même, qui échappe à toutes les directions, à toutes les influences. On avait cru d’abord que l’arrivée du duc de la Victoire à Madrid, que la formation d’un nouveau gouvernement ramènerait le pays à un état plus normal. Espartero est arrivé ; il a formé un cabinet, dont il est le président, et la situation n’en a pas été meilleure. On est parvenu, il est vrai, non sans peine et sans diplomatie, à obtenir la destruction des barricades de Madrid ; mais l’incertitude n’en est pas moins restée dans les esprits et dans les faits, au point de toucher de très près à l’anarchie. Après une révolution accomplie pour rétablir l’empire des principes constitutionnels méconnus, l’Espagne est aujourd’hui un pays sans constitution d’aucune espèce et sans lois, avec une royauté humiliée, un gouvernement qui en est encore à manifester une pensée politique, des partis qui s’observent et des factions menaçantes. Il ne s’agit point de rien conjecturer ; il suffit d’observer cet état pour ce qu’il est, c’est-à-dire comme un moment de transition des plus critiques qu’ait pu traverser la Péninsule dans sa longue carrière de révolutions. C’est dans les derniers jours de juillet que le général Espartero arrivait à Madrid et faisait son entrée triomphale, offrant au peuple l’épée de Luchana pour défendre ses droits. Il y avait cependant quelque chose de plus pressé que de tirer l’épée de Luchana, c’était de créer un gouvernement ; or là commençait la difficulté. Le mouvement même des partis depuis quelques années indiquait peut-être dans quel sens devait être composé ce nouveau pouvoir. Toutes les fractions libérales de, l’opinion dans ces derniers temps se sont réunies dans une même opposition contre les différens ministères qui se sont succédé. Dès lors il semblait naturel de chercher à réunir dans un ministère, ne fût-ce que pour faire face à la situation du moment, quelques-uns des hommes les plus considérables de ces diverses nuances libérales ; mais d’une part des noms conservateurs trop connus n’eussent point été sans doute du goût des meneurs révolutionnaires de Madrid, qui n’ont point abdiqué leur droit de représentation, et d’un autre côté cette combinaison politique eût peut-être fait trop complètement disparaître les chefs militaires de l’insurrection. Il en est résulté un ministère où ne figure aucun des hommes éminens des anciens partis, dont les élémens sont assez dissemblables, et dont l’importance se résume dans la présence simultanée au pouvoir du duc de la Victoire et du général O’Donnell. Le ministre le plus connu à côté des deux généraux est M. Pacheco, qui a été longtemps le chef de ce qu’on nommait le parti puritain. Les autres membres du cabinet sont d’anciens progressistes : M. Manuel Collado, M. Lujan, M. Santa-Cruz, M. José Alonzo, ancien ministre de la régence du duc de la Victoire ; le général Allende Salazar, aide de camp d’Espartero, le même qui était chargé,