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Que l’auteur ne s’en prenne qu’à lui-même si je me suis montré avare d’éloges. Ce qui domine dans ce livre, qui devrait se recommander par la simplicité, c’est la recherche assidue de l’effet théâtral. Je serais injuste envers M. de Lamartine, si je n’avouais pas qu’il entend parfaitement la mise en scène ; il groupe ses personnages comme s’il s’agissait d’une œuvre dramatique. Malheureusement, quand le lecteur arrive à se demander si les choses ont dû se passer ainsi, il ne tarde pas à reconnaître l’artifice et la supercherie. Malgré sa faiblesse pour ce talent populaire, il ne peut se défendre d’une sorte d’étonnement, et se demande comment il a été pris pour dupe. C’est un sentiment auquel n’échappent pas les lecteurs habitués à ne pas se contenter de leur première impression. Ces lecteurs sont malheureusement en minorité, mais ils ne l’ont pas mystère de leur étonnement, et leur étonnement se propage.

Est-il permis d’espérer que M. de Lamartine, en abordant un sujet nouveau, changera de méthode ? Une telle espérance serait de notre part une grande témérité. À voir comme il passe de la Toscane à la Turquie, comme il abandonne le siècle des Médicis pour l’empire ottoman, il est trop manifeste qu’il ne prend pas la peine d’étudier. L’histoire n’est pour lui qu’un sujet d’amplification, un exercice de rhéteur. Il avait annoncé l’Histoire du Directoire, tout à coup il tourne le dos au directoire sans que le public sache pourquoi. Dans les conditions où il s’est placé, l’étude devient inutile. Il possède désormais la science universelle. Les choses qu’il ne sait pas sont pour lui comme si elles n’étaient pas. C’est exactement comme s’il les savait.

Il est donc à présumer qu’il obéira longtemps à la méthode qui lui a si bien réussi ; tant qu’il n’aura pas rencontré sur sa route l’indifférence et le dédain, il ne renoncera pas à l’amplification. Pour tous ceux qui aiment à voir les plus grands noms de notre littérature demeurer purs et garder leur éclat, c’est un sujet d’affliction ; car depuis que M. de Lamartine est entré dans le domaine de l’histoire, il va s’amoindrissant de jour en jour. Ses flatteurs lui répètent chaque matin qu’il peut tout oser, qu’il connaît le passé bien mieux et plus sûrement que les esprits patiens qui se croient obligés d’étudier les faits avant de les raconter. Ces coupables mensonges n’empêcheront pas l’auteur de succomber sous le nombre et le poids de ses ouvrages historiques, et le public, lassé d’un plaisir stérile, voudra demander des leçons à l’histoire. M. de Lamartine ne pourra secouer ses habitudes d’indolence, il n’aura pas le courage d’étudier longtemps avant de prendre la parole, et la popularité désertera son nom, qui devait demeurer éternellement jeune. Pour changer de route, il sera trop tard, bon gré mal gré, il s’obstinera dans l’amplification.