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sur les circonstances de la formation du nouveau cabinet, un détail assez curieux, mais dont j’ai peine à admettre l’exactitude. À l’en croire, on avait hésité quelque temps entre le prince de Talleyrand et M. de Richelieu pour la présidence du conseil. Ce qui est d’ailleurs certain, c’est que M. de Talleyrand, dans son infatigable ambition, s’était encore flatté, en cette conjoncture, de l’espoir de reprendre une position où il avait peine à se persuader qu’on pût se passer de son expérience et de ses talens. Sir Charles Stuart cite un billet que le prince lui avait écrit pour lui reprocher d’avoir involontairement été l’obstacle contre lequel ses espérances étaient venues échouer. Suivant cette version, il aurait infailliblement été nommé, si le duc de Richelieu, désigné antérieurement pour aller complimenter le nouveau roi d’Angleterre George IV, se fût déjà trouvé à Londres au moment de la crise produite par la mort du duc de Berri, et la prolongation de son séjour à Paris était la conséquence d’un avis que lui avait donné l’ambassadeur sur la convenance d’attendre, pour passer la mer, le rétablissement de la santé du monarque anglais, assez gravement malade alors.

Sir Charles Stuart vit avec déplaisir le retour aux affaires du duc de Richelieu, par le double motif qu’il était lui-même en très bonnes relations avec M. Decazes, et que l’envoyé de Russie ne pouvait manquer de retrouver sous le nouveau ministère une partie de l’influence qu’il avait exercée jadis. Le mécontentement de sir Charles ne tarda pas à se manifester par des propos malveillans et des tracasseries multipliées. En cela, il n’était nullement l’interprète des sentimens du cabinet britannique ; comme toutes les grandes puissances, ce cabinet témoigna une véritable satisfaction d’un événement qui présentait le gouvernement français comme se disposant à lutter avec plus de résolution et avec des chances plus favorables contre l’esprit révolutionnaire.

Cet état de choses est fort bien retracé dans un rapport que l’envoyé de Prusse à Paris, M. de Golz, envoya le 31 mars à son souverain[1]. Pour en bien comprendre le sens, il est nécessaire de se rappeler que peu de semaines auparavant, une révolution militaire avait éclaté en Espagne, que l’absurde et cruel despotisme de Ferdinand VII avait fait place à un régime follement démocratique, fondé sur la constitution des certes de 1812 ; que les gouvernemens européens, encore pleins du souvenir des excès de 1793, craignaient de les voir renouvelés et peut-être dépassés dans un pays peu renommé alors, soit pour la douceur de ses mœurs, soit pour sa civilisation ; que la cour des Tuileries surtout se préoccupait vivement du sort d’un pays où régnait une des branches de la maison de France, et que des

  1. L’original de cette lettre est en français.