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publique ; mais ni l’instinct, ni l’inspiration ne suffiront jamais pour former un homme d’état. L’intelligence des droits les plus avérés, des passions les plus légitimes, compte sans doute parmi les élémens de la science politique, mais n’est pas la politique tout entière. Dans le gouvernement des sociétés humaines, les intérêts jouent un rôle, sinon aussi élevé, aussi pur, du moins aussi important que le droit et la passion. Tous ceux qui connaissent l’histoire savent à quoi s’en tenir sur ce point. S’agit-il de proclamer la supériorité du droit sur l’intérêt ? Rien de mieux ; mais prenez garde, pesez prudemment la portée de vos paroles. Croyez-vous donc que pour respecter le droit, il faille n’écouter que l’instinct et l’inspiration, et que la réflexion conduise à dédaigner le droit ? Si telle est votre pensée, vous calomniez étrangement la raison et la science. La philosophie et la politique vraiment dignes de ce nom ne méconnaissent aucun droit, et pourtant elles relèvent de la réflexion que vous voulez proscrire. Elles tiennent compte de l’inspiration et de l’instinct, mais elles savent par expérience que l’inspiration et l’instinct ne sont ni des instrumens de science, ni des instrumens de gouvernement ; elles les acceptent comme des auxiliaires, non comme des guides. Il semble puéril d’insister sur ces vérités familières à tous les hommes qui ont passé par le maniement des affaires, et pourtant je suis forcé de les rappeler à la mémoire du lecteur, puisque. M. de Lamartine voit dans la politique une science d’instinct et d’inspiration. Il est bon de répéter les vérités les plus vulgaires, quand les esprits les plus éminens s’appliquent sans relâche à les méconnaître, à les effacer de la mémoire de la foule.

La première partie, je veux dire les deux premiers volumes de l’Histoire de la Restauration, donne lieu à deux sortes de reproche : au premier livre, les intrigues de l’émigration sont racontées avec beaucoup de complaisance et de partialité ; au second livre, l’état de la France est étudié ou plutôt indiqué d’une façon beaucoup trop rapide. Sans vouloir nier le rôle, hélas ! trop important que joue l’intrigue dans toutes les affaires humaines, je répugne à croire que l’intrigue seule suffise à bouleverser les empires, à détrôner les dynasties, à changer la forme des gouvernemens. Pour que de pareils événemens s’accomplissent, il faut quelque chose de plus. Tous les enseignemens de l’histoire, tous les faits dont le siècle présent a été témoin sont unanimes sur ce point. C’est pourquoi je regrette que M. de Lamartine ait développé si longuement les menées de l’émigration à l’étranger. Tout en reconnaissant qu’il a su animer cette première partie de son récit, qu’il a remis en lumière plus d’un trait qui méritait d’être conservé, je ne puis comprendre qu’il ait accordé