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épisodes d’une bataille, les principes du gouvernement n’étaient pour eux que les élémens du récit, interprétés par le récit lui-même. La plupart des historiens de nos jours ne paraissent pas avoir entrevu cette double face de l’histoire. À l’exception d’Augustin Thierry, qui se rattache directement aux grands maîtres de l’antiquité par l’union constante d’une science profonde et d’un art infini, je les vois se contenter de la relation des faits sans prendre la peine de les animer. Or c’est là une façon très mesquine et très incomplète de réaliser la tâche de l’historien. Proscrire l’imagination comme un danger est à mes yeux une singulière méprise ; si la vérité littérale peut tirer quelque profit de cette proscription, ce n’est pas à cette condition qu’elle se popularise et prend possession de la foule.

Quand j’ai vu M. de Lamartine aborder l’histoire, je ne me suis pas alarmé, je n’ai pas condamné d’avance les travaux qu’il entreprenait ; j’ai réservé mon jugement, ne voulant pas me prononcer à la légère. Malheureusement l’Histoire des Girondins a semblé donner gain de cause à ceux qui le déclaraient insuffisant pour une pareille tâche. Je n’entends pas contester la réalité de ce premier échec, il est certain en effet qu’aux yeux de tous les hommes sérieux, l’Histoire des Girondins est un livre infidèle à son titre. Que les hommes du monde, que les oisifs l’aient accueilli avec empressement, avec sympathie, comme une distraction séduisante, comme une agréable manière de tuer le temps, peu importe assurément. Que signifie la popularité de ce livre pour les hommes habitués à l’analyse, à l’interprétation des faits ? Elle signifie que les esprits trop nombreux pour qui l’étude est une fatigue, la pensée un tourment, ont salué avec bonheur un tableau de la révolution française qui les intéressait comme un roman. C’est là sans doute un assez triste éloge, et pourtant c’est l’expression pure de la vérité. L’Histoire des Girondins, amusante, je le veux bien, n’enseignera jamais à personne la marche de la révolution française. Pourquoi ? C’est que dans ce livre l’imagination règne en souveraine, et que la science proprement dite n’y tient qu’une très petite place. Les preuves de cette assertion ne sont pas difficiles à trouver, et je n’aurais que l’embarras du choix. On se rappelle en effet les nombreuses réclamations suscitées par la publication de ce livre. Tantôt c’était un acteur de la révolution que l’historien faisait mourir sur l’échafaud et qui était mort paisiblement dans son lit ; tantôt c’était un discours rapporté d’après des témoignages imaginaires attribués à un homme qui n’avait rien dit. Le public, je dois le reconnaître, n’a pas tenu grand compte de ces réclamations, et malgré tous ces démentis, le succès des Girondins ne s’est pas ralenti. Le charme du récit, les détails romanesques semés à profusion, ont maintenu et maintiennent encore