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n’en expriment : — Vieni nice, viens respirer le frais sur la lagune, la fres’ aura a respirar. — Et ces paroles heureuses d’une langue bénie s’envolaient des lèvres comme une essence de poésie qui vous pénétrait d’une douce langueur.

Qu’est-ce donc que la musique, et qu’exprime-t-elle ? Est-ce un désir, un pressentiment, la réminiscence d’une béatitude éprouvée, ou bien l’intuition d’un avenir promis à nos espérances ? Êtres finis que nous sommes, pourquoi le fini ne nous suffit-il pas, et pourquoi, au sein de la satiété et des plaisirs, quelques accords rustiques entendus de loin nous font-ils tressaillir, et remplissent-ils notre âme d’un trouble sans objet ? En écoutant ce concert de la vie joyeuse, en écoutant ces bruits, ces chants et ces mélodies limpides qui semblaient glisser sur les vagues et s’y confondre avec les rayons de la lune dont elles imitaient le trémolo mystérieux, en laissant errer sa pensée à travers ces méandres d’étoiles qui peuplaient la profondeur des cieux, Lorenzo fut saisi d’une vague, mélancolie qui emplit son cœur de rêves charmans. Oh ! qu’il est doux de rêver ainsi au départ de la vie et de se laisser bercer par de folles espérances ! Elles sont bien heureuses, les natures qui aiment à s’attarder le soir au coin d’un bois ou sur une plage solitaire, à écouter le murmure de la brise, à suivre le nuage qui passe, à interroger l’étoile qui brille, à se perdre dans l’infini de leurs désirs et à se nourrir d’immortelles chimères ! Les rêves d’or de la jeunesse se transforment en sources de poésie où s’alimente l’inspiration des hommes supérieurs. Le génie ne serait-il pas un rêve qui se perpétue, et le monde l’éclosion d’un rêve divin ?

Une voix douce et sonore, qui s’épanouit peu à peu et s’éleva comme un soupir au-dessus de ces bourdonnemens joyeux, fixa tout à coup l’attention de Lorenzo, et vint dissiper les fantaisies de son imagination. Il écouta d’abord avec quelque distraction cette voix dont le timbre pénétrant ne lui était pas entièrement inconnu ; mais à une note prolongée et pleine d’émotion qui retentit sur la mer et traversa le silence comme une clarté fugitive, il se sentit tressaillir à ce lamente d’une âme solitaire qui disait à la nuit : « O nuit, prolonge ton cours et laisse-moi rêver encore ! Que je ne voie pas, que je ne voie jamais ce, que tu caches peut-être sous ton ombre, et emporte avec toi, si c’est possible, mes tristes pressentimens ! » À ce chant large et plaintif qui formait un si grand contraste avec ce qui avait précédé, Lorenzo, se réveillant comme d’un long sommeil, dit brusquement à la Vicentina : — Allons-nous-en, il ne fait pas bon ici.

— Tu as raison, mon ami, lui répondit-elle, il vaut mieux aller nous mêler à ces joyeuses gondoles qui dansent là-bas au clair de la lune.

Je ne sais quel philosophe d’Alexandrie. Plotin, je crois, a comparé