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pieuse les exhortations maternelles. Le nimbe de l’enfance bénie n’entourait plus sa tête ; il avait secoué ses langes, et ses désirs, comme des coursiers impétueux, hennissaient d’impatience de franchir la carrière qui s’ouvrait, devant lui. — Sonnez, sonnez la fanfare joyeuse, ô belles années de ma jeunesse ! se disait-il dans son ravissement. Vivre, c’est jouir ; les passions sont un feu divin qui échauffe et dilate l’intelligence. Vaines terreurs d’une éducation puérile, scrupules d’une piété étroite, sous lesquels on voudrait étouffer la nature humaine, vous avez disparu comme un nuage qui m’interceptait la lumière de la vérité ! Je suis un homme enfin, je sens, je vois, je comprends que ce monde factice où j’ai été élevé est une fiction de l’ignorance et de l’hypocrisie intéressées à perpétuer l’enfance du genre humain. Mes yeux sont dessillés, l’infini est devant moi qui excite mon activité, et où il n’y aura d’obstacle à mon ambition que ceux de ma volonté. En avant donc, en avant, suivons nos désirs que je vois tourbillonner là-bas, dans la plaine lumineuse, en chantant l’hymne de la vie au milieu des belles passions de la nature humaine qui dansent en chœur et font retentir les airs d’harmonies ineffables ! — Et son esprit s’élançait en effet, comme un cavalier intrépide qui


Dinanzi polveroso va superbo[1],


et s’évanouit dans l’espace. Après cette vision qui traversa l’imagination de Lorenzo comme un éclair de la sensibilité qui, en s’épanouissant brusquement, met en relief le fond du caractère, se sentant plus fort vis-à-vis de la Vicentina, il acheva la canzonetta interrompue, qu’il connaissait aussi depuis longtemps :

« En rêvant l’autre jour que je voyais venus voguer sur la mer dans une conque d’or, n’était-ce pas loi, ô ma bien-aimée, qui m’apparaissais dans une gondole légère comme ton cœur ?

« Tu es belle tu es jeune et fraîche comme une fleur ; écarte les tristes pressentimens qui t’assiègent, ris et tais l’amour. »


Ridi adesso.
E fa l’amor.


Sur ces dernières paroles qui terminaient la canzonetta, la mélodie plaintive qui les accompagnait s’épanouissait comme un sourire radieux de la volupté[2].

En voyant cette barque se balancer sur l’onde azurée, en voyant ce couple charmant que le hasard avait formé invoquer le plaisir en effeuillant à ses pieds les premières heures du jour, en écoutant leurs

  1. Dante, Enfer, chant IX, terzina 23 et 24.
  2. La canzonetta dont il est question dans ce passage a été trouvée manuscrite dans les papiers au chevalier Sarti. C’est une mélodie délicieuse en sol mineur d’un rhythme onduleux, qui se termine par une cadence en sol majeur d’un effet ravissant.