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Mara, Allemande d’origine comme la Mingotti, et comme elle grande musicienne, qui a partagé avec la Gabrielli l’étonnement de l’Europe ; la belle Mme Grassini et la Todi, dont la voix expressive de contralto lui a disputé la palme del canto di portamento ; la Morichelli, excellente comédienne et d’une jovialité charmante ; la Billington ; la Banti, qui comme vous, cara mia Vicentina, a eu une origine modeste, et a été surnommée cantante di piazza, parce qu’elle a commencé par chanter dans les rues. Bien que son éducation ait été fort négligée, et qu’elle soit presque aussi ignorante qu’elle est laide, la Banti possède une voix si délicieuse et un instinct si parfait, qu’elle est aujourd’hui la dernière grande virtuose qui nous reste d’une époque miraculeuse.


III

— Où allez-vous, Lorenzo ? lui dit un jour la Vicentina en sortant de chez Pacchiarotti, où pour la première fois ils s’étaient rencontrés seuls et sans aucune des personnes qui avaient l’habitude d’assister à ces leçons intéressantes.

— Je retourne au palais Zeno, lui répondit-il.

— Vous êtes donc bien pressé d’aller vous enfoncer dans vos livres et de revoir la signora Beata, pour laquelle je vous soupçonne d’avoir plus que du respect.

— Oh ! pour cela, vous vous trompez beaucoup, dit-il en rougissant.

— Eh bien ! si je me trompe, prouvez-le-moi en me donnant le bras. Vous m’accompagnerez un instant chez moi, et puis nous irons nous promener un peu, si votre philosophie ne s’y refuse pas. Je suis entièrement libre aujourd’hui, je n’ai point de répétitions et ne chante pas ce soir.

Surpris d’une invitation à laquelle il était loin de s’attendre, Lorenzo ne sut d’abord que répondre. Balbutiant quelques mots insignifians, il suivit la Vicentina, poussé par la fausse honte de paraître impoli s’il refusait, et par cette émotion confuse qu’éprouve la jeunesse à la vue d’un danger qui l’attire. Arrivés chez la Vicentina, qui demeurait tout près du théâtre San-Benedetto, dans un appartement somptueux où éclatait le luxe frivole d’une diva du jour :

— Asseyez-vous là un instant, maestrino mio, lui dit-elle en le conduisant dans un boudoir élégant tout rempli d’objets de séduction ; je vais donner quelques ordres, et je suis à vous pour toute la journée.

Resté seul dans ce petit sanctuaire, d’où s’exhalaient des parfums de toute nature, assis sur un sofa moelleux qui ne disposait point