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et qui ont servi à l’éducation des plus grands virtuoses qu’ait formés ce maître, tels que les Farinelli, les Caffarelli, les Salimbeni, il Porporino, la Mingotti et la Gabrielli, qui a reçu aussi du glorieux élève de Scarlatti des conseils dont elle n’a guère profité. Cela intéressera d’autant plus M. L’abbé Zamaria, que Porpora a passé les plus belles années de sa vie à Venise, où il a publié ses meilleures cantates et dirigé l’Ospedaletto.

Pacchiarotti se mit alors à feuilleter du doigt un recueil de cantates de différens auteurs, de Carissimi, de Scarlatti, de Marcello, de Bassani, de Barbara Strozzi, noble vénitienne, d’Astorga le Sicilien ; puis il arrêta son regard sur l’une des plus charmantes inspirations de Porpora. C’était une cantate pour voix de soprano, précédée d’un récitatif fort simple en apparence, mais dont le virtuose fit comprendre la difficulté par les nuances infinies qu’il y apercevait :

Fra gl’ amori lacci
Come s’arda e s’agghiacci
A un punto sol,
Tu m’insegnasti, ocara[1] !

Sur ce texte un peu précieux, qui exprime non pas les vicissitudes de l’amour, mais les velléités d’une fantaisie légèrement émue, Porpora a écrit une déclamation élégante et très accidentée par la modulation qui sert de préface à un joli cantabile.

La Vicentina, de sa voix puissante, se mit à déclamer avec pompe et fracas ce simple récitatif, qui ne demandait au contraire qu’à être effleuré des lèvres comme un léger prélude où l’âme s’essaie à trouver le mot suprême qu’elle n’ose articuler. Aussi Pacchiarotti lui dit-il après quelques mesures : — Vous n’y êtes pas, mon enfant, et vous donnez à ce récit un accent passionné et baldanzoso qui conviendrait tout au plus à la musique de Gluck ou à celle de Jomelli. Il n’y a pas dans l’œuvre de Porpora ni dans celle des premiers maîtres napolitains une seule page qui comporte un tel luxe de sonorité. J’avais donc bien raison de vous dire qu’un chanteur qui ne remonte pas à la tradition de son école ne possédera jamais la variété de style qui est nécessaire à un grand artiste. Ecoutez-moi, lui dit-il, et, joignant l’exemple au précepte, Pacchiarotti chanta le récitatif que nous venons de citer et que Lorenzo accompagnait au clavecin. Il ne fit entendre d’abord qu’un son à peine musical, plus voisin de la parole que de la mélodie proprement dite. À mesure que le récit exprimait une nuance plus vive de sentiment, le son s’épanouissait davantage et s’élevait en sonorité. Lorsqu’il fut

  1. « Tu m’as appris, ô ma belle, comment un cœur épris passe, en un instant, de l’abattement à l’espérance. »