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fils de Catarina Sarti, surprise par un sentiment sérieux dont elle n’avait pas dû prévoir les atteintes, elle résolut de couper court à des relations équivoques qui ne pouvaient avoir pour elle qu’une solution malheureuse. Comment faire cependant pour rompre brusquement, et sans trahir son secret, les rapports de bienveillance et de protection qui s’étaient établis entre elle et Lorenzo ? Ce jeune homme, dont la physionomie heureuse l’intéressait au moins autant que l’aménité de son caractère et la vivacité de son esprit, n’avait point mérité qu’on cherchât à l’éloigner d’une famille qui l’avait adopté spontanément. Quel prétexte prendre pour mettre entre elle et Lorenzo quelques années de séparation qui lui donneraient le temps d’étouffer ou d’amortir un sentiment qui menaçait de devenir une passion orageuse et funeste ? Le prétexte qu’avait suggéré la pénétration de son oncle, le saint prêtre, d’envoyer Lorenzo terminer ses études à l’université de Padoue, eût été le plus convenable sans les objections que Beata redoutait de la part de l’abbé Zamaria, qui s’était attaché d’autant plus vivement à son élève, que celui-ci montrait un goût prononcé pour la musique, et une grande aptitude à profiter de ses leçons. Beata aurait pu sans doute surmonter ce dernier obstacle en faisant intervenir la volonté de son père ; mais en employant ce moyen extrême, elle craignait de laisser deviner sa faiblesse. Excepté Tognina, qui avait saisi comme à la dérobée quelque chose de ce roman mystérieux qui commençait à se développer dans le cœur de son amie, personne dans la maison ne soupçonnait à quelle source profonde s’alimentait la sollicitude de Beata pour son frère d’adoption.

Dans cette perplexité, entre la crainte de faire un éclat et la ferme volonté où elle était de prévenir un danger qui alarmait sa pudeur, Beata prit une résolution qui rassurait sa conscience sans lui imposer un sacrifice trop douloureux : elle ordonna sa vie de manière à éviter le plus possible la présence de Lorenzo, elle se fit un maintien sévère et composa son visage pour mieux cacher à tout le monde, et surtout à celui qui en était l’objet, la tendresse qui s’était glissée dans son cœur. Renfermée ainsi eu elle-même, cette noble créature, dont l’âme était aussi élevée que l’intelligence, et qui joignait au sérieux du caractère cette grâce des formes et cette adorable langueur qui sont le plus bel attribut de son sexe, Beata souffrait silencieusement et consumait son ardeur dans une lutte qui altérait son repos. Ce n’est pas la naissance modeste de Lorenzo, ni aucun préjugé vulgaire, qui avaient déterminé la fille du sénateur Zeno à combattre une affection qui avait surpris son inexpérience ; des idées aussi graves et aussi arrêtées ne s’étaient même jamais présentées à son esprit. Elle craignait d’affliger son père par une inclination qui aurait ajouté une douleur domestique à la grande tristesse que lui faisaient éprouver