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des rois de l’Europe ligués contre elle au commencement du XVIe siècle, avait été dépouillée successivement d’une partie de ses conquêtes lointaines, des îles de Chypre, de Candie et enfin de la Morée. La reine de l’Adriatique s’était endormie tout doucement au bruit de ses grelots et de ses loisirs charmans. En effet, depuis la paix de Passarowitz, conclue en 1718, qui mit fin à la dernière guerre que Venise eut à soutenir contre l’empire ottoman, une langueur mortelle s’était emparée de cette fière république de patriciens qui avait bravé tant d’orages. Accroupie au fond de ses lagunes, elle laissa passer tout le XVIIIe siècle sans se mêler à aucun des événemens politiques qui s’accomplirent en Europe, n’ayant d’autre souci que de garder son repos, en se préservant du contact des idées nouvelles qui germaient de toutes parts en Italie. Énervée par les voluptés et l’inaction, Venise fut réveillée tout à coup de son long assoupissement par la révolution française, qui devait être bien autrement redoutable à sa puissance que la découverte du cap de Bonne-Espérance, qui lui avait enlevé le monopole du commerce du monde. Deux partis divisèrent alors le gouvernement de la république : l’un, très nombreux, qui avait la majorité dans le grand conseil, voulait la continuation de la neutralité ; l’autre, plus énergique, conseillait d’abandonner un système désastreux jugé par l’expérience, en prenant part à l’action qui allait inévitablement s’engager entre les grandes puissances de l’Europe. Ce dernier parti se subdivisait en deux fractions, dont l’une voulait une alliance avec l’Autriche, et l’autre avec la France. Le sénateur qui a déjà figuré dans la première partie de ce récit, — Marco Zeno, — était l’un des partisans les plus écoutés de l’alliance avec l’Autriche.

Dans les premiers temps de son arrivée à Venise, Lorenzo fut tout ébloui du magnifique spectacle qu’il avait sous les yeux. Ce qu’il avait lu et ce qu’on lui dit sur cette ville unique était fort au-dessous de l’impression qu’il en recevait ; son imagination ardente et romanesque ne lui avait fait pressentir rien de comparable à la place Saint-Marc, au palais ducal, au Canalazzo, cette voie lactée qui traverse la ville et la divise en deux parties inégales rattachées ensemble par le pont du Rialto, image de la volonté puissante qui avait présidé aux destinées de la république. Son cœur se gonflait d’orgueil en regardant ces magnifiques palais, dont chaque pierre atteste la gloire de ce peuple de gentilshommes, d’artistes et de marins. Il se mit à étudier avec passion l’histoire de Venise, qui présente l’intérêt d’un poème et d’un poème épique, où la grandeur des événemens se combine avec l’héroïsme des caractères et la variété des épisodes. Il se sentait fier d’appartenir à une nation qui a joué un rôle si original dans les annales du monde, et dans sa vanité de