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de la main d’un martyr, le testament d’une génération héroïque qui a cru avec Bacon et les grands esprits de la renaissance aux miracles de la science que nous voyons s’accomplir sous nos yeux.

Né en France, propagé par les écrits de Voltaire, de Rousseau, de Montesquieu, de Buffon et par l’Encyclopédie, ce mouvement de rénovation se répandit dans toute l’Europe. De tous côtés, on se mit à prêcher l’abolition des vieux abus, à ridiculiser les usages consacrés, à bâtir des utopies qui avaient toutes pour objet la régénération du genre humain. Les souverains les plus jaloux de leur autorité, Catherine de Russie, le grand Frédéric, Joseph II, les rois de Suède, de Portugal et d’Espagne, entraînés par l’esprit du siècle, essayèrent tous d’améliorer l’administration, de simplifier, d’humaniser les lois civiles et criminelles, de dégager l’action du gouvernement des entraves de la féodalité, de répandre l’instruction en conviant les peuples à un meilleur avenir. L’Italie ressentit aussi très fortement l’influence des idées nouvelles. Cette vieille terre de Saturne, qui a vu s’accomplir tant de révolutions mémorables, était alors gouvernée par des princes débonnaires que la mode du bel esprit philosophique, la douceur des mœurs, la sécurité profonde dont ils jouissaient depuis la paix d’Aix-la-Chapelle, autant que la raison d’état, avaient imbus d’un esprit d’équité qui se manifestait chaque jour par des réformes salutaires. On remarquait le gouvernement économe du Piémont et celui de Parme, où régnait un élève de Condillac sous la tutèle d’un ministre capable et tout-puissant. Beccaria écrivait à Milan son livre hardi Des Délits et des Peines, dont les principes généreux étaient transformés en lois par Léopold, grand-duc de Toscane. Rome voyait s’asseoir sur le siège apostolique un {{{2}}}, un Ganganelli, un {{{2}}}, princes éclairés qui s’efforçaient de mettre la morale de l’Evangile dans la politique ; à Naples, dans la patrie de Vico, de Giannone et de Filangieri, qui occupait un poste important dans l’administration, le goût des réformes s’était emparé même du roi Ferdinand IV, qui, pour varier ses plaisirs, avait fondé une sorte de société idéale sur le modèle de la Salente de Fénelon[1].

Surgie comme Vénus du sein de la mer, Venise, après avoir été la première puissance maritime du moyen âge et avoir possédé un quart et demi de l’empire romain, après avoir sauvé la civilisation chrétienne de la barbarie des Turcs et avoir échappé à la jalousie

  1. La colonie di San-Leucio fut fondée en 1789 par un décret du roi de Naples où l’on remarque les passages suivans : « Le mérite seul distingue entre eux les colons de San-Leucio. Le luxe est absolument interdit, et une parfaite égalité règne dans les vêtemens. Les jeunes époux se choisissent librement, et les païens n’auront pas le droit de s’opposer à leur union, etc. » Voyez l’Histoire du royaume de Naples, par le général Colletta, t. Ier.