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vaste dépôt de connaissances un peu confuses, mais où s’agite l’esprit divin, comme il s’agitait sur le chaos qui a précédé la naissance du monde. En effet, cette tour de Babel fut élevée par une génération de travailleurs intrépides qu’animait une foi ardente dans le triomphe de la raison par les progrès de l’esprit humain. L’idée de progrès, c’est-à-dire d’une extension successive de nos facultés et de nos connaissances, d’une amélioration de notre destinée, n’est pas sans doute une idée entièrement nouvelle, puisqu’elle résulte du sentiment de notre activité intérieure et du spectacle de l’histoire. Elle a été entrevue par l’antiquité, et il y a plus de deux mille ans le philosophe Xénophane a pu dire : « Non, les dieux n’ont pas tout donné aux mortels, c’est l’homme qui avec le temps et le travail a amélioré sa destinée. » Cependant l’idée de progrès que saint Augustin, que Vico, Pascal et surtout Leibnitz ont affirmée avec plus ou moins d’évidence, n’a été formulée d’une manière vraiment scientifique que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par Turgot, d’Alembert et Condorcet en France, par Herder et Lessing en Allemagne.

Doué de facultés perfectibles, éclairé par sa raison et servi par sa volonté, l’homme est le maître de sa destinée. Contenu jusqu’alors par de fausses abstractions qui lui avaient caché la vérité des choses, aveuglé par de prétendus principes métaphysiques que lui avait imposés l’autorité jalouse de perpétuer son ignorance, l’homme est parvenu à dissiper ces vains fantômes de la scolastique qui lui dérobaient le spectacle admirable de la nature. Mis en contact direct avec le monde extérieur par ses organes, averti par la sensation de l’existence des phénomènes, il en étudie les lois, et c’est dans ces lois qu’il trouvera le secret de dompter la matière, de l’animer de son souffle et de la faire servir à sa grandeur. La notion du bien et du mal, du juste et de l’injuste, dont le germe est resté enfoui dans les limbes de l’instinct, se développera à la clarté de l’entendement, et la conscience, devenue plus délicate et plus rigoureuse, étendra sa juridiction sur un plus grand nombre de rapports. La morale ne sera plus un amas confus de préceptes arbitraires et variables, mais un code de lois précises sanctionnées par la raison et le sentiment. Le dieu mystérieux de la légende, conception remplie de contradictions et de contes fabuleux, fera place à une intelligence suprême dont l’existence nécessaire sera prouvée par l’ordre de l’univers et les lois de l’esprit humain, et qui couronnera l’édifice de la connaissance au lieu d’en être la négation. Telle est la profession de foi de ce XVIIIe siècle d’où est sortie la révolution de 1789, qui a changé la face de l’Europe et posé les principes d’une nouvelle civilisation. Qu’on lise l’admirable chapitre qui termine le livre de Condorcet, Esquisse d’une histoire des progrès de l’esprit humain, et l’on y trouvera, écrit