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de l’argent dans toutes les circonstances. Lorsque le crédit de ces établissemens a fléchi, c’est que les gouvernemens ou les révolutions avaient voulu en faire les instrumens de leurs expériences financières, et avaient ainsi troublé la marche régulière de la circulation. Les combinaisons de M. Pitt, en obligeant la banque d’Angleterre à exagérer l’émission de ses billets, l’amenèrent à suspendre pendant vingt ans ses paiemens en espèces, et chez nous, le cours forcé, avec un règne heureusement plus éphémère, fut l’œuvre de la révolution de février.

L’empire russe est en dehors des règles et des traditions de l’économie politique. Il ne faut donc s’étonner ni de ce que le gouvernement s’est érigé en banque d’émission, ni de la libéralité avec laquelle il a saturé la circulation de son papier. La monnaie d’or et d’argent en Russie est à peu près bannie du commerce. Les billets de crédit, qui descendent jusqu’à la plus infime coupure, y servent de billets de banque ; le gouvernement, qui les émet, contracte l’obligation de les rembourser à présentation. Au 1er janvier 1853, le montant de ces billets était de 311,375,581 roubles d’argent (plus de 1,245 millions de francs), qui représentaient ainsi une somme égale aux forces réunies de la circulation de banque en France et en Angleterre. Pour garantir d’une nouvelle dépréciation cette monnaie qui surabonde, l’empereur Nicolas, avec une prudence dont sa politique d’aujourd’hui va déconcerter les calculs, avait amassé dans la forteresse de Saint-Pierre et Saint-Paul des trésors métalliques jusqu’à concurrence de 146 millions de roubles (584 millions de francs)[1]. La réserve destinée à parer aux demandes de remboursement avait donc de quoi rassurer pleinement le peuple russe. La somme des espèces, comparée à celle des billets en circulation, présentait le rapport de 47 à 100. C’était pendant longtemps le plus grand dépôt de métaux précieux qui existât en Europe. La réserve de la Banque de France n’a dépassé en effet qu’à des intervalles très irréguliers et peu durables la limite de 600 millions.

Avec une banque d’émission, l’on aurait eu la chance de voir se maintenir le niveau du réservoir métallique ; mais, le gouvernement créant le papier qui sert de monnaie d’un bout à l’autre de l’empire, on pouvait craindre tout à la fois qu’il ne diminuât la valeur de l’encaisse en métaux précieux, et qu’il n’augmentât la masse des billets circulans. La première de ces éventualités s’est déjà réalisée ; la seconde,

  1. Plus exactement 146,794,848 roubles d’argent, dont 180,179,313 en espèces ou lingots, et 16,014,929 en fonds publics. La réserve métallique n’était donc en réalité que d’environ 520 millions de francs, qui se trouvent réduits à 400.