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qui avait dans le principe la valeur du rouble argent, soit 4 francs de notre monnaie, a été successivement déprécié par des émissions surabondantes jusqu’à perdre 75 pour 100. Le rouble de papier ne vaut plus aujourd’hui que 1 franc. Encore un pas de plus, et cette monnaie fiduciaire aura le sort des assignats.

Non seulement les ressources extraordinaires que le gouvernement russe a fait jaillir, depuis dix-huit mois, des facultés contributives du pays en les excédant, vont lui manquer dans les années qui suivront ; mais il verra et voit déjà diminuer ses ressources ordinaires. Le revenu public de la Russie était évalué, par les statisticiens, il y a quelques années, à 600 ou 650 millions, en y comprenant le produit des lavages aurifères de la Sibérie et de l’Oural. Les recettes du trésor n’ont pas dû faire des progrès très sensibles dans ces contrées, où le système prohibitif contribue, autant peut-être que le servage des cultivateurs, à rendre la richesse stationnaire. Il n’en est pas de la Russie comme de l’Autriche, où la réforme administrative a porté le revenu, en quelques années, de 164 millions de florins, point culminant de l’ancien état de choses en 1846, et de 122 millions de florins, chiffre qui exprimait l’influence de l’état révolutionnaire en 1848, à 226 millions de florins en 1852. Cependant le Moniteur, sur des données dont le gouvernement français a sans doute vérifié l’exactitude, évalue à 800 millions de francs les recettes annuelles du trésor moscovite. La moitié de ces recettes étant fournies par la ferme des eaux-de-vie et par les droits de douane, le Moniteur suppose que la guerre actuelle et le blocus des deux mers amèneront un déficit de 50 millions de roubles ou de 200 millions de francs, en calculant le rouble au pair, dans le produit de ces deux branches d’impôt.

Je ne saurais estimer le déficit à un chiffre aussi considérable. Il est vrai que la présence des Flottes combinées dans la Mer-Noire et dans la Baltique paralyse le commerce extérieur de la Russie, qui, pour les seules exportations par cette double voie, excédait 300 millions de francs ; mais on admettra bien qu’une partie du mouvement commercial se reportera de la frontière de mer sur la frontière de terre, et que le trésor récupérera ainsi une partie des recettes qui semblaient entièrement perdues pour lui. Le gouvernement russe l’a tellement senti qu’il vient, pour attirer le commerce dans cette direction, de modérer les droits de douane. Ainsi la nécessité lui a suggéré une mesure tout à fait contraire à ses précédens, et qui est une bonne opération, si on l’envisage au point de vue de l’économie politique. Quant au produit des droits établis sur les eaux-de-vie, il n’y a pas lieu de prévoir une diminution très sensible. La guerre ne fera pas évidemment en Russie ce que la disette n’a pas fait cette année en France. Les mougiks ne boiront pas moins d’eau-de-vie qu’auparavant ;