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grossissent le fleuve du revenu sans en tarir ni même en affaiblir les sources. C’est alors que l’influence d’un bon système se montre plus décisive, et que le danger d’une fausse mesure devient plus grand. Ajoutons que la nécessité, quand elle ne suggère pas des expédions désastreux, aiguillonne le bon sens des peuples et le génie des individus en les lançant dans la voie des découvertes. C’est au bruit de la guerre d’Amérique qu’un professeur de morale, s’attachant à constater les lois suivant lesquelles les états dépérissent ou prospèrent, Adam Smith, écrivit l’immortel ouvrage de la Richesse des Nations, Le crédit public se développa dans la Grande-Bretagne quand il fallut, pour lutter avec la révolution française, ameuter l’Europe à force de subsides et couvrir de vaisseaux toutes les mers. Il naquit en France le jour où, l’impôt ne suffisant plus, on dut recourir à l’emprunt pour payer la rançon de l’invasion.

La guerre d’Orient vient à peine de commencer, et déjà tous les gouvernemens empruntent. La Turquie, après avoir renoncé, par des scrupules inintelligens, à un emprunt conclu à un taux inespéré, et qui liquidait ses embarras les plus pressans, se met aujourd’hui en quête de prêteurs et frappe, comme elle peut, à toutes les portes. Le gouvernement russe, après avoir tâté les divers marchés, se voit exclu des principales places de crédit et réduit à l’expédient odieux, autant que stérile, de l’emprunt forcé. La Prusse demande plus de 100 millions de francs au crédit ; la France, au moyen d’une souscription publique, et en donnant à peu près 5 pour 100 du capital prêté, vient d’emprunter 250 millions. L’Autriche, après deux emprunts successifs, en ouvre un troisième payable en cinq années, à raison de 250 millions par année, qui doit lui servir, indépendamment du déficit annuel à combler, à retirer de la circulation une certaine quantité de papier-monnaie, et à rappeler dans le pays l’or et l’argent, la monnaie métatlique. L’Angleterre seule se défend encore de faire un appel direct au crédit, mais, à défaut de la dette fondée, elle augmente la dette flottante, autre supplément à l’impôt. Ainsi tous les gouvernemens empiètent sur le patrimoine des générations à venir, soit pour soutenir, soit pour préparer la lutte. Ils assiègent, chacun dans l’espoir de l’attirer de son côté, le monde essentiellement pacifique des capitaux. Par cet empressement, qui s’inspire pour les uns de la nécessité et pour les autres du calcul, ils donnent la mesure de leurs forces. On peut préjuger et même annoncer presque à coup sûr, en comparant les ressources financières des belligérans, l’issue de la crise dans laquelle l’Europe vient d’entrer. Il y a là une sorte d’anatomie comparée, s’exerçant sur les élémens de l’impôt et du crédit, dont il est permis d’attendre quelque lumière. De cette hauteur d’où on les domine aisément, nous allons étudier