Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais si nous abandonnons sans regret à ses censeurs la théologie de lord Herbert, nous ferons nos réserves en faveur de sa métaphysique. Elle appartient par plus d’un côté à la saine philosophie ; elle ne sacrifie ni la solidité à l’élévation, ni l’élévation à la solidité. Elle s’appuie sur le droit d’une raison inspirée par celui dont elle émane, révélation primitive qui ne proscrit pas l’autre, mais que celle-ci suppose, et qui, tantôt par la sensibilité, tantôt par la déduction, ajoute à ses lumières propres des connaissances expérimentales ou dérivées, certaines quand elles sont universelles. Ce n’est point là une philosophie vulgaire ; de belles et heureuses pensées se rencontrent dans le livre où elle est exposée, et la diction, quoique un peu pédantesque, ne m’en paraît pas aussi obscure qu’à M. Hallam. Je louerais même lord Herbert de sa latinité, malgré la barbarie de quelques formes scolastiques, de quelques termes abstraits, s’il ne paraissait établi qu’un savant contemporain de l’auteur, Thomas Master, employé souvent par lui à des recherches, a pris une grande part à la traduction de la pensée du philosophe anglais dans la langue de Cicéron.

Par ses mérites même, lord Herbert devait, comme philosophe aussi, rencontrer des censeurs. Dans le nombre du moins, nous ne placerons pas Descartes, car il est du même parti philosophique. On sait combien Descartes est avare d’éloges, et qu’il consent peu à louer ce qui s’écarte de son esprit ou de sa méthode. Lors donc qu’une de ses lettres nous apprend qu’il trouve dans Herbert plusieurs choses fort bonnes, mais, ajoute-t-il avec sa grande prudence, non publici saporis, et qu’il estime cet auteur beaucoup au-dessus des esprits ordinaires, il faut voir dans ce peu de paroles un très important suffrage[1]. C’est avec de grands ménagemens et même de grands éloges, que les philosophes éminens d’une école tout opposée se sont séparés de lord Herbert. Il était dans l’usage d’adresser ses écrits à ceux qu’il en supposait les justes appréciateurs. Le De Veritate avait été transmis de sa part à Gassendi, qui répondit, en 1734, à cet envoi par une lettre insérée en fragment dans ses œuvres. Il s’y écrie que l’Angleterre est heureuse d’avoir, après la mort de Verulamius (Bacon), produit un tel héros {heroem istum)[2]. Puis il défend Aristote contre ce héros, auquel il fait avec détail toutes les objections de l’empirisme. On les connaît : il n’y a pas naturellement de notions universelles ; point de proposition en physique, point de dogme en théologie, point de règle en éthique, qui ne soit controversable ;

  1. H. Hallam, Histoire de la Littérature fendant les quinzième, seizième et dix-septième siècles, t. III, ch. III, sect. Ire, traduction française.
  2. Ad librum D. Edoardi Herberti Angli de Veritate epistola. — P. Gassendi Diniensis oper., t. III, p. 411.