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défaut de reposer sur une description très incomplète de l’esprit humain. La loi religieuse est un fait aussi réel que la certitude rationnelle, et cependant elle en diffère essentiellement. C’est aussi une vérité universelle que jamais la philosophie n’a été toute la religion de l’humanité. La doctrine de lord Herbert ne rend nul compte de tous ces faits. Aussi a-t-elle été, comme on le pense bien, l’objet de sérieuses critiques. On en cite une réfutation expresse composée par Richard Baxter, théologien assez renommé de l’église dissidente, et qui publia, en 1671, une apologie chrétienne de quelque réputation[1]. Christian Kortholt, qui vivait en Holstein et dont le fils fut un des éditeurs de Leibnitz, a imprimé vers le même temps à Kiel un pamphlet théologique avec ce titre significatif : De tribus impostoribus[2]. C’est l’envers du fameux et problématique ouvrage qui inquiéta le XIVe siècle comme un legs mystérieux et funeste du XIIIe. Un des trois imposteurs de Kortholt est lord Herbert, le prince des naturalistes du siècle[3], et qu’il met sur la même ligne que Hobbes et Spinoza. Herbert, fervent défenseur de la providence divine et de la liberté humaine, n’a rien de commun avec le spinozisme, et c’est tout l’opposé de Hobbes, cet ennemi aveugle et puissant de tout principe absolu de religion et de morale. Kortholt dirige contre lord Herbert quelques critiques justes au point de vue de l’orthodoxie, mais c’est une licence insupportable et de mauvais exemple que de l’accuser d’athéisme, et cette calomnie juge un ouvrage. Un censeur plus redoutable et plus digne, c’est Leland, qui, dans sa revue des écrivains déistes de l’Angleterre au XIIe et au XIIIe siècle, assigne le premier rang à lord Herbert, et qui, en rendant justice à sa sincérité, attaque son système avec les armes du raisonnement et de la foi. Il ne manque pas d’observer que ce fondateur du rationalisme religieux avait sa part de crédule enthousiasme, puisqu’il s’imaginait que Dieu avait, par un signe direct, ordonné la publication de son livre, en sorte que celui qui n’admet comme démontrée que la providence générale, s’est cru de très bonne foi l’objet d’une providence particulière. Un miracle aurait ainsi autorisé une théologie contraire aux miracles.

  1. Dans l’ouvrage intitulé : More reasons for the christian religion and no reason against it, par Richard Baxter, 1671, on trouve : Animadversions on a tractate De Veritate written by the noble and learned lord Edw. Herbert
  2. De tribus impostoribus magnis, liber Edoardo Herbert, Thomoe Hobbes et Benedicto Spinosoe oppositus. Cui addila appendix qua Hieronymi Cardani et Edoardi Herberti de animalitate hominis opiniones philosophicoe examinatoe. Kit., in-8o, 1680. L’édition que j’ai eue dans les mains a pour titre : De tribus impostoribus magnis, liber cura editus Christ. Kortholt S. Theolog. D. et professoris primarii. Hambourg 1700. Elle a été donnée par Sébastien Kortholl, fils du précédent.
  3. « Naturalistarum aevi nostri princeps. »