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leur succès, plus grand il est vrai sur le continent qu’en Angleterre ; il a vu s’établir et croître une renommée qui est une des gloires de sa patrie. Cependant il n’est point disciple de Bacon, il ne se donne pas pour son admirateur ; nous ne nous souvenons pas qu’il fait jamais cité, et cette omission ne peut être involontaire. Il traite assez souvent des sujets analogues, il aborde les mêmes questions ; il lui emprunte quelques idées, ou les répète après lui, les ayant peut-être tirées de la même source. Sa philosophie est aussi une réaction contre le moyen âge ; elle procède des mêmes critiques, mais elle établit d’autres principes. C’était la grande pensée de Bacon, mais c’était aussi une des pensées du siècle, que le temps était venu de changer les voies de la science humaine. Lord Herbert est un des ardens promoteurs de cette révolution intellectuelle. « L’autorité, dit-il, est le seul asile de l’ignorance. Philosophons librement. » Comme Bacon, il luit avec dédain les erremens de la scolastique. Nulle part dans ses écrits il ne professe le culte d’Aristote ; il pense par lui-même. Dans son principal ouvrage, il se pose la question absolue de la vérité, et, résistant aux plus hardis sceptiques par ce principe : la vérité existe, il en dérive toute la science. La vérité des choses est en elles, la nôtre est dans notre intelligence, car elle est la connaissance de la première. Entre l’une et l’autre se placent la vérité de l’apparence, ou, comme on dit aujourd’hui, le phénomène, et la vérité du concept, c’est-à-dire la perception ou la notion. Chacune de ces sortes de vérité se rapporte en nous à une faculté, à une disposition qui lui est comme analogue, et la vérité d’elles toutes est d’abord dans la conformité de chacune avec la faculté correspondante, puis dans la conformité de toutes les vérités et de toutes les facultés entre elles. Qui peut en juger ? Un instinct d’intelligence et de raison qui domine toutes les facultés, qui donne et qui contient les connaissances universelles, qui les a reçues du ciel, et qui est comme une participation de la raison divine. Cet instinct naturel est le centre dont les notions universelles sont les rayons. Il nous semble difficile d’établir avec plus de clarté et de force que ne le fait lord Herbert qu’il y a des principes nécessaires dans L’esprit humain. On le voit, si Bacon est le père de la philosophie de l’empirisme, lord Herbert est loin d’être de son école, témoin ces paroles que nous soumettons aux gens du métier : » Les notions universelles sont ces principes sacrés contre lesquels il est interdit comme un crime de disputer, contra quoe disputare nefas… Tant s’en faut que ces principes élémentaires se déduisent de l’expérience et de l’observation, que sans quelques-uns ou sans un au moins d’entre eux, nous ne pouvons ni expérimenter ni observer. » Ces paroles remarquables, Platon et Kant ne les auraient-ils pas signées ?

Nous entrerions dans la partie technique du système, si nous donnions