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son temps trouvait sacrées. Il semble devancer son siècle par son indifférence pour les querelles dogmatiques, et il ne parle pas avec une sympathie bien vive de la grande révolution qui changea la foi de l’Angleterre. En tout, bien des choses restent obscures dans son livre, bien des caractères inexpliqués. Peut-être la difficulté d’aborder certains sujets l’a-t-elle contraint à certaines omissions, peut-être lui-même a-t-il trouvé son ouvrage incomplet, car il faut se rappeler qu’il ne l’a point laissé paraître. Une seule fois il s’abandonne aux réflexions que la réforme du XVIe siècle devait provoquer dans tous les esprits sérieux. Il se demande quelles sont les règles que doit suivre un laïque dans les discordes religieuses. La première est d’accepter pour guides, autant que possible, ceux que lui donne sa patrie ; puis il doit, s’il est en mesure de le faire, étudier les religions et les doctrines des sages pour se décider par son propre choix. Malheureusement cette étude est longue, difficile, semée de doutes et de problèmes. Tout savoir est impossible, tout rejeter serait impie. Que faire donc ? S’attacher à l’essentiel et au démonstratif, et s’en tenir aux vérités universelles qui ne peuvent jamais égarer ni perdre celui qui les prend pour sa loi, — un Dieu honoré par la piété de la vie, les fautes rachetées ici-bas par le repentir ou châtiées ailleurs par une justice suprême.

Cette doctrine est celle de ses ouvrages philosophiques, et peut-être même les a-t-elle inspirés ; mais quoiqu’elle eût au commencement du XVIIe siècle un certain mérite d’originalité, quoique ceux qu’elle offense puissent, la pardonner au témoin des controverses qui avaient de son temps ensanglanté l’Europe, quoiqu’il fait anoblie par la constance et la sérénité de ses convictions, cette liberté de penser en matière religieuse n’est point par elle-même un mérite philosophique, et ce qui nous frappe tout autrement dans lord Herbert, c’est un système de métaphysique qui vaut beaucoup mieux, et qui n’est d’ailleurs nullement inconciliable avec la foi chrétienne.

Lord Herbert avait certainement connu Bacon. Ils ont été au service du même souverain, Jacques Ier, protégés du même favori, Buckingham. Lord Herbert avait pu lire le Novum Organum avant de rien publier[1], et comme il a survécu vingt ans à l’illustre chancelier, il a connu tous ses ouvrages importans, il a été témoin de

  1. On a mis Herbert ainsi que Thomas Hobbes au nombre des amis et des collaborateurs de Bacon. Le fait nous paraît très douteux. Bacon, dans la dédicace d’une version des psaumes à son bon ami George Herbert, le remercie de la peine qu’il a prise à propos de quelques-uns de ses ouvrages. Cette peine était, dit-on, d’avoir travaillé à les mettre en latin ; mais George Herbert n’a ni le prénom ni aucun des titres de lord Herbert, qui passe lui-même pour s’être fait aider dans la traduction latine de ses écrit. D’ailleurs son traité De Veritate ne parut qu’en 1624 ou quatre ans après la publication du Novum Organum, et un an après la rédaction dernière du De Augmentis, dont une première esquisse avait été imprimée en 1605.