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Somerset[1] qui faisait manœuvrer quelques cavaliers, et celui-ci lui ayant dit des paroles un peu vives au sujet de son affaire, il mit pied à terre, tira son épée, et voyant toute la compagnie en faire autant, il se rua sur elle, joignit sir Thomas, et voulait lui couper la gorge, si l’on ne l’eût pris à bras le corps et forcé à faire demi-tour. Cependant il allait recommencer, mais les gens regagnaient leurs tentes, et il les laissa en repus, emportant dans ses habits plusieurs estocades, dont une lui avait déchiré les côtes. Il lui fallut revenir à la tranchée pour y figurer en soldat, et il eut le chagrin de voir la fin du siège sans obtenir de lord de Walden la faveur de mesurer leurs épées. Le récit minutieux de ces duels manques compose presque toute son histoire de la campagne, et il semble n’avoir vu dans la guerre qu’une occasion favorable à des prouesses de chevalier errant.


IV

Cette manie, qu’il paraît avoir exagérée même pour le temps, le renom de raffiné qu’elle dut lui valoir, donnèrent, selon lui, quelque éclat à son retour. Il fut l’été par tout le monde. Richard, comte de Dorset, à qui il était tout à fait étranger, l’invita à venir chez lui, le promena dans sa galerie de tableaux, et l’arrêta devant un cadre en l’engageant à tirer le rideau de taffetas vert qui le couvrait. Il obéit, et vit son propre portrait. C’était la copie d’un tableau qu’il avait fait peindre avant son départ. « Et non-seulement, dit-il, le comte de Dorset, mais une personne, de trop grande qualité pour que je la veuille nommer, en commanda une autre copie à Larkin, et la fit placer dans son cabinet, sans que j’en aie alors rien su, ce qui donna à ceux qui virent ce tableau après sa mort plus matière à gloser que je ne l’aurais souhaité, je puis ajouter même, en toute vérité, que ce soin d’avoir mon portrait m’a été fatal pour plus de raisons que je ne juge à propos de le dire. » Ce ton de fatuité mystérieuse cache, assure-t-on, une allusion à l’intérêt secret qu’il aurait inspiré à la reine Anne de Danemark, femme de Jacques Ier. Il est moins discret à l’endroit de lady Ayres, femme d’un baronnet de ce nom, laquelle, ayant fait copier en miniature le tableau de Larkin, le suspendit à son cou de manière à le cacher dans son sein. Son mari vint à le savoir et en conçut une grande jalousie, quoique rien ne se fût passé entre elle et l’original qui excédât les empressemens de courtoisie d’un homme du monde envers une femme d’esprit. Herbert ignorait même tout ce mystère, lorsqu’un jour, étant entré dans la chambre de lady Ayres,

  1. Troisième fils d’Édouard, comte de Worcester, lord du sceau privé. Il était premier écuyer de la reine d’Angleterre.