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eut jusqu’à neuf, et n’en devait conserver que trois), il se perfectionna sans maître dans la connaissance des langues vivantes, son intention étant de devenir un citoyen du monde. Il apprit aussi la musique, et ce fut un de ses goûts favoris. Sa curiosité s’étendit de l’étude de diverses sciences, et son esprit réfléchi se forma une sorte de philosophie de l’éducation qu’il a résumée dans ses mémoires. On aime à recueillir dans les écrits de ce temps les idées des esprits d’élite sur cet important sujet. On a noté celles mêmes que le bon sens de Rabelais jette en passant au milieu des fictions d’une imagination folâtre. Montaigne a consacré à l’éducation plus d’un chapitre des Essais, et quelques-unes de ses pensées font encore autorité. Voici celles de lord Herbert.

Le premier soin à donner à l’enfance devrait se porter sur les maladies héréditaires auxquelles elle peut être exposée. Peut-on craindre, par exemple, qu’un enfant ne soit sujet à la pierre, on doit faire prendre à sa nourrice, dans une boisson de lait, de sucre et de vin, et plus tard à l’enfant lui-même, du milium solis et des saxifrages ; si c’est la goutte qu’on appréhende, il faut le baigner, soit dans l’eau où les forgerons éteignent leur fer, soit dans une infusion d’alun ou de genièvre. Comme l’écrivain se piquait des sciences de son temps, il n’épargne pas les noms de simples et de médicamens. Il prescrit notamment certaines herbes pour le spleen héréditaire[1], et il dit qu’il en a fait usage.

Le moment venu d’aller à l’école, l’enfant doit avoir deux maîtres, l’un pour les leçons, l’autre pour les mœurs et les manières, et chacun d’eux doit garder ses attributions séparées. Dès qu’il sait l’alphabet, donnez-lui les grammaires les plus simples pour le latin et pour le grec ; mais qu’il commence par le grec, car en toutes choses les Grecs ont surpassé tous les peuples. Le gouverneur pour les mœurs suivra son élève à l’université, afin d’y surveiller sa conduite et ses liaisons. Les études y sont conçues de telle sorte qu’on semble avoir voulu faire des maîtres ès-arts de tous les aînés de famille. Autant la partie de la logique qui sert à former le raisonnement est utile, autant sont oiseuses ces subtilités scolastiques que l’on enseigne sous le même nom. Il suffit d’être mis en état de comprendre les principes de la philosophie de Platon et d’Aristote. Après quoi on fera bien d’apprendre les élémens de la médecine selon Paracelse, et il ne sera pas inutile de lire Patrizzi et Telesio, qui ont examiné et critiqué le péripatétisme. Il suffira pour tout cela de six mois de logique. Puis, il faudra passer à la géographie, en saisissant cette occasion de s’instruire des gouvernemens, des coutumes et enfin des

  1. La maladie de la rate (spleen), qui passe pour engendrer l’humeur noire.