Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/688

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

article ; la règle est inflexible. Au contraire, la princesse russe qui épouse un prince allemand porte avec elle en Allemagne sa religion et son culte. Une chapelle grecque sera établie dans son palais : c’est toujours l’objet d’une stipulation expresse, — et bientôt en vérité, l’usage devenant loi, la stipulation sera superflue. Voyez-vous ces chapelles grecques, avec leurs images sacrées et leur cortège de popes, installées au milieu des cours germaniques, tandis que les princesses d’Allemagne sont tenues, en quittant le sol natal, de rejeter les formules même qui leur servaient de communication avec Dieu ? Que d’affronts dans ce seul contraste, et combien M. Stacker a raison de s’écrier avec une indignation amère : « Ces mariages, aux yeux des Russes, ce sont de véritables mésalliances, et l’Allemagne doit en être si honorée, l’Allemagne en retire de si grands, de si précieux avantages, qu’il y faut tout sacrifier, oui, tout, et jusqu’au souvenir de sa foi ! »

Ces mésalliances, auxquelles la famille impériale de Russie veut bien condescendre avec bonté, se multiplient singulièrement depuis un quart de siècle. Le tsar Nicolas est le premier, depuis Pierre le Grand, qui ait eu une famille nombreuse ; en remontant plus haut encore, on ne trouverait pas un autre exemple d’un pareil groupe de princes et de princesses réunis autour des tsars ou des grands-ducs ; il n’a été donné à aucun souverain russe, hormis à Nicolas, de voir grandir ses fils et ses petits-fils. On pense bien que le tsar n’a pas négligé de telles ressources : commencée par les armes et les traités, maintenue chaque jour par une diplomatie vigilante, l’invasion russe se continue depuis vingt-cinq ans par une brillante phalange de jeunes altesses. Chose étrange, les cours d’Autriche, de Saxe et de Bavière sont les seules où la Russie n’ait pas essayé d’agrandir son influence par des mariages. Ce fait a de quoi surprendre au premier abord. Comment expliquer que la diplomatie moscovite, si ingénieuse à envelopper l’Allemagne dans un réseau d’alliances intimes, ait renoncé à ce moyen en Saxe, en Bavière, et surtout en Autriche ? Faut-il rappeler ici les curieuses révélations de sir Hamilton Seymour ? La Russie se croit-elle assez maîtresse de maison de Habsbourg, et dédaigne-t-elle une conquête dont elle est sûre ? La vraie raison, c’est que le catholicisme ne s’est jamais prêté, comme la religion protestante, à ces abjurations officielles (la Saxe est protestante, mais on n’ignore pas que la famille royale est catholique). Catherine II, en 1773, écrivait déjà dans ce sens au comte d’Assebourg : « Ne songez pas, disait-elle, à une princesse catholique, il serait trop difficile de la déterminer à embrasser la religion grecque. » Les souverains protestans de l’Allemagne ne comprenaient guère ces scrupules ; un seul, c’était le roi de Prusse Frédéric II,