Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

boulevard de la société romano-germanique contre les entreprises du Nord. Alliée à la Russie, la Prusse sera réduite, comme l’Autriche elle-même, à n’être plus que la vassale des barbares. Situation bien claire en vérité ! Le cabinet de Berlin n’eut pas assez d’audace et de patriotisme pour la comprendre. Pourquoi n’y eut-il pas alors sur le trône des Hohenzollern un digne héritier de Frédéric II ? Mais non : le souvenir de la révolution effrayait encore les souverains, et le patriotisme populaire, égaré par les déclamations, venait en aide à la pusillanimité des politiques. Le baron de Stein est là, furieux, aveugle, implacable, qui brouille toutes les idées ; c’est lui qui, pour venger la Prusse des affronts trop mérités que lui inflige le vainqueur d’Iéna, soulève l’Allemagne comme un seul homme, et la précipite, tête baissée, sous le joug des Moscovites.

Alexandre est décidément le grand protecteur de l’Allemagne, et de 1806 à 1815 il est facile de voir quel est le sens du titre qu’il s’arroge. Les publicistes d’outre-Rhin ont commencé à s’aviser de la chose ; c’est un bon signe. Remercions M. Wilhelm Stricker et l’auteur du livre sur la Russie et le temps présent d’avoir recueilli si franchement toutes les preuves de la domination russe en Allemagne pendant cette période réputée si glorieuse. Il est trop manifeste que l’Autriche et la Prusse, entre les mains du tsar, ne sont que des instrumens serviles. Ces années 1813 et 1814, dont l’Allemagne, en haine de la France, se plaît toujours à évoquer les souvenirs, les Allemands d’aujourd’hui reconnaîtront-ils enfin que ce furent le plus souvent des années d’humiliation, et que la Russie faisait cruellement payer ses services ? Ici, c’est la Saxe, en 1814, occupée par les Russes qui traitent le pays comme une terre conquise ; là, c’est le général de Gneisenau qui écrit : « Nous ne sommes pas moins maltraités par nos amis que par nos ennemis ; on enlève de force à nos soldats ces vivres rassemblés par nous avec tant de peine, et c’est une chose révoltante de voir sur les champs de bataille nos blessés pillés par les Russes. » Et sans signaler tous les détails que nous fournit M. Stricker, quelle honte en vérité que cette guerre de délivrance, comme ils disent, cette guerre populaire et nationale soit toujours exploitée par les hommes de Saint-Pétersbourg ! Qui décide tout aux conférences de Langres et de Châtillon ? qui gouverne le congrès de Vienne ? Celui qui s’intitule le libérateur de l’Allemagne. Vainement les peuples germaniques rappelleraient-ils avec orgueil que leurs généraux ont tout fait, que les Russes même étaient commandés par des Allemands : qu’importent ces consolations de l’amour-propre ? La guerre s’est faite au profit de la Russie ; alliée à la Russie, la patriotique Allemagne de 1813 ne s’est battue que pour se donner un maître. La vraie conclusion de la guerre, ce n’est pas la délivrance des peuples allemands, c’est ce traité de la sainte-