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nourrie d’histoire et pleine de la contemplation de l’empire romain, s’était reportée à cette ancienne loi des invasions du Nord sur le Midi et des grandes inondations barbares descendant des plateaux de la Haute-Asie sur l’Europe occidentale… - Je suis poussé à cette guerre aventureuse par la raison politique, disait-il plus tard à M. de Narbonne… Rappelez-vous Souvarof et ses Tartares en Italie ; la réponse est de les rejeter au-delà de Moscou. Et quand l’Europe le pourrait-elle, si ce n’est maintenant, et par moi ? » cette horreur de l’invasion russe, qui éclairait dès 1799 l’ardente pensée du général Bonaparte, qui lui inspirait l’idée d’une revanche éclatante et d’un coup décisif frappé sur le Kremlin, l’Autriche elle-même en ressentit enfin quelque chose ; les brutalités de Souvarof l’épouvantèrent, elle eut honte de ce qu’elle avait fait, et le Gengis-Khan de Paul Ier, en butte aux répugnances des généraux autrichiens, se crut livré à l’ennemi par des traîtres. Le général de Clausrwitz a bien décrit sa retraite : « Il prit sa course, dit-il, vers la frontière de Russie, comme un vrai khan de Tartares, aussi impétueusement qu’il était venu. »

C’est un lieu commun des publicistes allemands que l’ambition seule de Napoléon a obligé les états germaniques à implorer le secours des tsars. Napoléon lui-même n’a-t-il pas été l’ami d’Alexandre ? et les deux empereurs, l’héritier de Pierre le Grand et l’héritier de la révolution, ne se sont-ils pas partagé l’Europe à Tilsitt ? Laissons là ces déclamations qui font trop bon marché des dates. Dès l’invasion de Souvarof, le vainqueur de l’Égypte avait résolu de rejeter les Russes en Asie ; mais pour une telle guerre il fallait l’appui de l’Allemagne. De 1800 à 1806, il est occupé sans cesse de ce grand but : s’assurer l’Allemagne contre la Russie. Tout ce qu’il fait dans les contrées germaniques, tous ses projets, toutes ses innovations, toutes ses témérités, tendent à ce résultat. Tantôt il veut fortifier la Prusse et en faire le centre d’une Allemagne nouvelle, tantôt, lorsqu’il n’a pu triompher des irrésolutions de Frédéric-Guillaume III, il élève à la dignité de souverains indépendans les électeurs de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg, et institue la confédération du Rhin. La vérité est que l’Allemagne, la Prusse surtout, pendant toutes les guerres du consulat et de l’empire, est placée entre deux puissances qui se disputent son amitié. D’un côté est la Russie, la France de l’autre. La France lui offre un rôle immense dans les affaires du continent ; la Russie veut s’allier à elle pour opprimer l’Europe. La France est désintéressée, ou son intérêt, pour mieux dire, se confond avec l’intérêt prussien ; la Russie ne pense qu’à sa propre domination. Unie à la France de 89, la jeune monarchie de Frédéric le Grand s’élèvera tout à coup aux destinées les plus glorieuses, elle sera la tête et le cœur de l’Allemagne, elle dépouillera à jamais l’Autriche de la suprématie, et deviendra le puissant