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pour le représenter en Allemagne. Toutes les villes de la côte, Dantzig, Riga, bien d’autres encore, sont frappées de contributions de guerre ; Pierre le Grand savait qu’il n’avait pas à redouter la vigilance de l’administration de l’empire, et il réglait lui-même le prix de ses services. En 1712, il offre à l’empereur une armée de trente mille hommes pour l’aider à soutenir la guerre contre Louis XIV ; il ne demande qu’une seule chose en échange de cette armée : Charles VI le nommera prince de l’empire. Heureusement la proposition du tsar est rejetée ; le moment n’est pas encore venu où les souverains de Saint-Pétersbourg pourront prendre une part directe aux débats intérieurs des peuples germaniques. Il suffira à Pierre de brouiller toutes les affaires de l’Allemagne du nord afin de l’habituer aux interventions de son armée. Au milieu de ces guerres confuses où les Suédois d’un côté, de l’autre les Danois, les Prussiens, les Saxons, se poursuivent avec fureur du Danemark jusqu’en Poméranie, les Russes, alliés aux soldats de Frédéric-Guillaume Ier, se battent seuls pour un résultat certain. Que de pillages dans ces contrées allemandes ! Lubeck, Hambourg, sont rançonnés par les Russes avec une impitoyable rapacité ; indigné de ces exactions, mais impuissant à contenir son allié, Frédéric-Guillaume est obligé d’acheter Stettin à Menchikof pour 400,000 thalers. C’était le temps où Pierre le Grand mariait une autre de ses nièces au prince de Mecklenbourg-Schwerin, et, la traitant comme une vassale, est-ce dire assez ? comme une esclave soumise à ses volontés les plus odieuses, semblait prendre plaisir (le baron de Poellnitz raconte là-dessus d’abominables détails) à humilier publiquement dans sa personne les souverainetés de l’Allemagne.

Les empereurs de Russie, en des temps plus rapprochés de nous, sauront pénétrer au sein de l’Allemagne avec un mélange de dissimulation insinuante et d’autorité hautaine ; Pierre le Grand leur fraie la voie avec cette impétuosité qui lui est propre. Il fait un séjour à Berlin en 1718 ; est-ce l’arrogance d’un maître qu’il déploie ou simplement la brutalité d’un barbare ? Demandez-le aux mémoires de la margrave de Bayreuth, et vous serez embarrassé de la réponse. La princesse Frédérique-Sophie Wilhelmine, qui épousa plus tard le margrave de Bayreuth, était la fille du roi de Prusse Frédéric-Guillaume Ier ; or dans ses curieux mémoires, qui embrassent toute la période de 1706 à 1742, la visite de Pierre le Grand au roi de Prusse est racontée avec les détails les plus précis, et l’on ne sait vraiment ce qu’il faut admirer le plus, ou les impudentes allures du tsar et de son sérail ou la condescendance de ses hôtes. Quatre cents dames accompagnaient le tsar et la tsarine ; la reine, instruite des fonctions et qualités de ces dames, ayant refusé de les saluer, la tsarine (c’était