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l’on cherche aujourd’hui l’influence germanique en Russie, c’est là seulement qu’elle se trouve, avec sa douceur et son action morale.

Catherine II à peine montée sur le trône avait, par un manifeste célèbre, dispensé du service militaire tous les colons allemands qui viendraient s’établir en Russie. Pendant douze ans, de 1764 à 1776, des paysans de la Hesse, du Wurtemberg et de la Saxe répondirent à cet appel, et vinrent successivement occuper les deux rives du Volga. Ils étaient distribués par groupes de famille, et leur nombre s’élevait d’abord à cent quatre ; mais deux des communes de la rive gauche, Chaisol et Césarsfeld, furent détruites peu de temps après par une peuplade tartare. Ces colonies primitives, accrues mais non multipliées, sont devenues d’importans établissemens agricoles, et forment aujourd’hui cent deux villages ou bourgs ayant chacun plus de mille habitans. En 1775, la population était de vingt-trois mille âmes à peu près ; elle dépassait le chiffre de cent dix-sept mille en 1838. M. Haxthausen, qui dans son curieux tableau des classes agricoles en Russie a donné sur ces colonies des renseignemens pleins d’intérêt, raconte qu’il a vu en 1848 un des vétérans de l’émigration allemande. C’était un vieillard de quatre-vingt-six ans, membre de la colonie d’Orlovkoi. Il était né à Berlin sous Frédéric le Grand. Son père avait été laquais du roi, et sa mère descendait des protestans réfugiés en Prusse après la révocation de l’édit de Nantes. Il se rappelait encore avec une précision singulière tous les détails du voyage : triste et pénible voyage, terminé par des déceptions cruelles ! Ils avaient descendu le Volga en 1764 ; à Kostrova, les navires avaient été arrêtés par les glaces, et il avait fallu passer l’hiver sur ces bords inhospitaliers ; arrivés enfin au lieu de leur destination au printemps de 1765, ils n’avaient presque rien trouvé de ce qu’on leur avait promis. Pas de maisons, pas de chaumières, à peine quelques huttes misérables, et point de matériaux de construction. Les troupeaux, les étables, les semences, tout ce qu’on leur avait annoncé pour premier établissement, ils ne le recevaient qu’en des proportions ridiculement insuffisantes. Les plaines qu’ils avaient à défricher étaient des steppes désertes, infestées par des hordes de Kalmoucks. Alors on vit se déployer le courage et l’industrieuse patience du colon allemand : les maisons s’élevaient, les steppes s’ouvraient en sillons sous le soc de la charrue, et d’année en année la culture étendait ses conquêtes. Les Kalmoucks heureusement avaient été bientôt refoulés vers la frontière chinoise, mais des tribus plus sauvages encore, Kirghises et Baschkires, attirées par la prospérité croissante des colons, étaient venues piller leurs récoltes, et la pioche et la faux avaient dû se changer en armes de guerre. En 1765, le ministre russe à Dantzig proposa à un pasteur de la ville, nommé